|
Recherche
scientifique et maîtrise de l’information
L’étudiant
qui se présente à l’Université, frais émoulu
de la maturité ou du baccalauréat, imagine le laboratoire
comme un endroit suréquipé de microscopes, d’accélérateurs
et autres appareils sophistiqués. Et dans ce lieu préservé,
il envisage une équipe en parfaite communion intellectuelle qui
expérimente à longueur de journée, oubliant le temps
et l’extérieur, puissamment motivée par des découvertes
en cascade.
La réalité est sensiblement autre. Une simple visite dans
un centre de recherche lui fait découvrir une réalité
largement différente. Même en excluant le temps passé
à trouver des crédits, à participer à des
multiples commissions en tout genre et à enseigner, 90 % du temps
restant est dévoré par des tâches non expérimentales.
On évalue en moyenne à 150 heures, le temps passé
en manipulation proprement dite pour 1350 heures consacrées à
des activités de documentation, de discussion ou de rédaction
(estimation annuelle). Ce travail extra-expérimental, considéré
à tort comme secondaire par les épistémologistes
des sciences ou par les chercheurs, fait pourtant partie, de la démarche
scientifique.
En effet, il ne suffit pas d’élaborer un nouveau savoir,
pour que les faits s’imposent d’eux-mêmes. Encore faut-il
les faire connaître, les valoriser et convaincre la communauté
scientifique de l’originalité et de la rationalité
de la démarche. Trouver les meilleurs arguments, concrétiser
ses concepts, imposer ses idées, exigent un apprentissage méthodique,
qui est rarement proposé dans les cursus universitaires. Peu de
scientifiques y ont d’ailleurs réfléchi ; tout est
encore affaire d’habitude, de flair ou d’inspiration.
Mais avant de trouver il faut ... chercher. Or chercher n’est jamais
évident, il ne suffit pas d’attendre l’inspiration
ou l’idée de génie. La découverte due au hasard
et qui détermine la notoriété du savant, fait partie
du folklore scientifique. Une recherche se situe par rapport à
des antécédents et se prépare à travers diverses
investigations.
Tout travail de recherche s’enracine dans un domaine que le spécialiste
doit maîtriser. Pour produire du nouveau, il faut avoir fait le
bilan du savoir antérieur, avec la conscience des limites, des
contraintes et de la solidité des concepts en place, ceux qui font
consensus dans la communauté scientifique. Il faut également
maîtriser les domaines connexes, parfois des savoirs éloignés,
se révéler apte à faire des rapprochements et à
manipuler des modèles. L’hypothèse fructueuse naîtra
souvent d’une combinaison originale de savoirs établis.
Dans la pratique quotidienne de la “paillasse” -de la recherche,
en jargon de laboratoire-, il faut pouvoir étayer ses idées,
les faire évoluer en fonction des résultats obtenus, les
confirmer ou les modifier. Cela suppose d’être au courant
des nouvelles pistes à exploiter, des technologies en développement.
N’existe-t-il pas une technique plus fine de dosage ? N’y
aurait-il pas un micro-organisme plus facile à domestiquer ? Un
nouveau modèle animal ne serait-il pas plus performant pour tester
la résistance à certains virus ? Une nouvelle enzyme n’aurait-elle
pas une vitesse de réaction plus rapide ? Tel médicament
ne serait-il pas plus pharmacodynamique sur les malades atteints de troubles
particuliers ? Etc.
Même les étapes historiques de la démarche peuvent
se révéler intéressantes et il arrive que des hypothèses
abandonnées puis réactualisées, servent à
ressourcer et relancer une recherche.
On voit ainsi que le travail du scientifique n’est pas uniquement
expérimental. Auparavant, il doit se constituer une culture sans
faille. Pour cela, il doit établir une bibliographie du domaine
spécialisé qu’il étudie, sans négliger
de l’enrichir par des références sur les sujets voisins.
Le chercheur passe de longues heures à lire des articles, à
rechercher les périodiques ou les ouvrages pertinents pour le traitement
de son thème de recherche.
Certains pourront trouver fastidieux ces moments consacrés à
la connaissance et à la réflexion, mais il est impossible
d’y échapper. Des questions se posent alors : Comment trouver
les documents utiles ? Doit-on tout lire ? Où s’adresser
? N’existe-t-il pas des méthodes pour ne pas perdre trop
de temps à travers les millions de pages imprimées chaque
année ? Comment retrouver son centre d’intérêt
?
Quand et comment consulter les livres de synthèse, les rapports
de recherche, les notes, les fiches techniques ou les notices de matériels,
les prépublications diffusées plus rapidement mais de façon
plus restreinte que les documents parus, les archives… ?
L’évolution des nouvelles technologies documentaires lui
sera-t-elle d’une grande aide ? Qu’en est-il des réseaux
d’information ? Les banques de données vont-elles faire le
travail à la place du demandeur d’information scientifique
?
Aujourd’hui, le jeune chercheur est perdu au milieu de documents
de toutes sortes, diffusés par des moyens renouvelés. Le
nombre de références bibliographiques devient incommensurable,
la quantité de journaux spécialisés s’accroît.
Comment ne pas se sentir submergé ?
Comment l’étudiant va-t-il réussir sa plongée
dans la masse documentaire ? Il est fort probable que sa scolarité
précédente ne l’y a pas préparé. Sait-il
se servir d’un dictionnaire spécialisé, d’une
faune, d’un répertoire de données ? Pense-t-il à
consulter ces catégories particulières d’ouvrages
? Allons plus loin... connaît-il leur existence ? Sait-il faire
la différence entre un document primaire et secondaire, un ouvrage
de référence ou de vulgarisation ? Sait-il consulter un
fichier de bibliothèque ou rédiger une référence
bibliographique ?
Connaît-il les banques de données et les centres serveurs
? A-t-il entendu parler des microfilms, des CD-ROM (Compact disc read
only Memory), des vidéodisques ?
Nos observations montrent qu’il n’en est rien. L’étudiant
pense rarement à utiliser un index, une table des matières
ou un lexique.
En fait, il espère toujours découvrir par hasard, avec le
minimum d’efforts l’information qui traitera de la question
demandée. Combien de fois ne nous demande-t-on pas un livre sur
le sujet d’un cours qui a exigé des mois de compilations
et de synthèses !
Et s’il tombe sur le document espéré, dans quelles
conditions va-t-il l’appréhender ? Souvent, il va le feuilleter
distraitement, un œil sur la télé ou les oreilles vers
la HI-FI quand elles ne sont pas bloquées par les casques d’un
baladeur. Il envisagera de produire un résumé en prenant
quelques notes décousues sur un papier. Puis, il égarera
le document et comme il n’a pas noté la référence,
il sera incapable de reconstituer le titre de l’article, du périodique,
la date de parution sans parler de nom de l’auteur ou de la pagination.
Cette situation n’est hélas pas caricaturale ! C’est
d’ailleurs notre système d’enseignement qui est en
cause plus que l’étudiant lui-même. On met trop l’accent
sur une fausse rigueur et sur des recettes en négligeant les savoir-faire
qui pourtant feront la différence au sein d’un laboratoire
ou d’une entreprise.
D’où le projet d’une recherche que nous avons entreprise
dans le cadre d’une collaboration entre le LDES de l’université
de Genève et l’université de Nice : proposer des outils
pour permettre aux étudiants et aux jeunes chercheurs de maîtriser
l’information.
Le résultat : un premier livre publié par les éditions
Delachaux et Niestlé et intitulé Maitriser l’information
scientifique et médicale (de 228 pages) où l’on trouve
une série de conseils sur de multiples points. D’autres suivront
pour faire le tour des questions évoquées ci-dessus.
D’abord, identifier un document pertinent, c’est-à-dire
“utile” pour le travail projeté, n’est pas une
fin en soi. Encore faut-il savoir l’utiliser ! La tendance spontanée
est une lecture exhaustive et linéaire : l’étudiant
avale l’article du début jusqu’à la fin et il
se demande combien de temps il devra passer sur un livre de plusieurs
centaines de pages. S’il lit sans prendre de notes, son attention
se relâche et il risque de passer à côté des
informations utiles. S’il prend des notes, il a tendance à
perdre de vue l’idée générale, ne sait pas
trier et accumule des détails inutiles.
Un document se visite comme une exposition, on prend connaissance des
lieux et on repère ce qui est digne d’attention. Ainsi, il
faut comprendre la structure d’un document et son organisation avant
de rechercher l’information utile. Il existe des aides pour ce repérage
: résumé, introduction, conclusion, intertitres, illustrations
pour un article, table des matières, index, glossaire… pour
un livre.
Ensuite, en “vrac” que retirer d’une lecture même
conduite avec discernement ? Comment reconnaître les idées
principales des idées secondaires ? Comment réaliser un
résumé analytique qui représente un bon équilibre
entre une sous-information frustrante ou une sur-information dommageable.
Comment ne pas se sentir submergé ? Comment trouver les documents
utiles ? Doit-il tout lire ? Où s'adresser ? N'existe-t-il pas
des méthodes pour ne pas perdre trop de temps à travers
les millions de pages imprimées chaque année ? Comment résumer
un livre, un article ? Comment faire surgir les idées importantes
? Quand et comment consulter les livres de synthèse, les rapports
de recherche, les notes, les fiches techniques ou les notices de matériels,
les prépublications, les archives ? ...
Comment choisir un périodique scientifique ? Comment apprendre
à être un utilisateur efficace ? Comment s’y retrouver
dans les rubriques régulières ou irrégulières
? Identifier les articles de fond, les dossiers, les nouvelles, les informations
techniques ou pratiques ?
Enfin, comment trouver le livre adapté à ses besoins et
à son niveau de connaissances ? Comment identifier un ouvrage ?
Quelles sont ses particularités et sont-elles différentes
de celles d’un article ? Comment reconnaître ses différentes
parties et quelles sont leurs fonctions ? Est-il possible d’enregistrer
un ouvrage identifié pour y revenir par la suite ? Et surtout,
comment rédiger sa propre bibliographie ?
Voilà déjà un beau programme qui s'adresse aux étudiants
et aux jeunes chercheurs, sans exclure les chercheurs plus confirmés,
les enseignants ou les curieux qui pourront y trouver une aide ou des
idées pour améliorer leur pratique.
André GIORDAN et Michèle FEBVRE
|