|  
         
       | 
      Programmes 
        et pratiques de l’enseignement scientifique 
         
      Au 
        cours des deux dernières décennies, l'attitude de nos concitoyens 
        à l'égard des sciences a profondément changé. 
        Leur soif de savoir et de s'informer, sur leur santé ou sur leur 
        environnement par exemple, n'a jamais été aussi grande . 
        Dans le même temps, leurs doutes, voire leurs inquiétudes, 
        face à certaines innovations ne se sont jamais exprimés 
        aussi vivement.  
        La crise des vocations scientifiques parmi les jeunes est une de ces manifestations. 
        A l’université de Genève, on observe une baisse déclarée 
        de plus de 10 % des étudiants au cours de la dernière décennie, 
        avec des pics de 20 % en physique et en math, pendant que d’autres 
        facultés doublaient presque leurs effectifs (statistiques de l’université 
        de Genève, 2003). 
        Ce discrédit pour la formation scientifique n’est pas seulement 
        suisse. Depuis 1996, le nombre d’étudiants français 
        s’inscrivant dans une faculté de science a chuté de 
        près de 13%. La physique paraît toujours la plus durement 
        frappée (Nature vol. 401, 21/10/99). Au delà des conséquences 
        pour l’industrie et la recherche, ces prochaines années, 
        il sera très difficile de renouveler les enseignants de sciences 
        partant à la retraite. En Allemagne, le nombre d’étudiants 
        en première année de physique a baissé de moitié 
        par rapport à 1991 et le nombre des diplômés est insuffisant 
        pour satisfaire la demande de l’industrie et de la recherche (Nature 
        vol. 394 6/08/98). Au Japon, le nombre de jeunes chercheurs universitaires 
        dans les disciplines scientifiques est passé de 11,6% en 1977 à 
        4,5% en 1995 et de graves problèmes de recrutement sont également 
        annoncés pour les années à venir (Nature vol. 391 
        1/01/98). 
        regagner la confiance des jeunes 
        Cette perte d’intérêt pour les contenus scientifiques 
        chez les jeunes ne peut pas ne pas nous interroger , et cela d’autant 
        plus que la majorité d’entre eux disent s’ennuyer vraiment 
        dans les cours de sciences à l’école. C’est 
        particulièrement le cas dans le secondaire, plutôt au secondaire 
        inférieur mais également au post-obligatoire . Pire, certains 
        se disent “exclus” des études ou des études 
        qu’ils auraient voulu choisir à cause des sciences, employées 
        comme outil de sélection (évaluation LDES, 1998). 
        Ces remarques critiques ne sont pas les seules ; depuis de nombreuses 
        années, nombres d’enseignants scientifiques à travers 
        le monde formulent des critiques renouvelées sur leur enseignement, 
        tel qu’il est pratiqué dans la plupart des pays développés 
        . Cette remise en question porte à la fois sur les programmes, 
        en particulier sur ceux du secondaire supérieur et sur les méthodes 
        pédagogiques employées.  
        La question des stratégies pédagogiques est certes devenue 
        moins vive en Suisse ces dernières années. Bien sûr, 
        un certain nombre d’heures de cours restent encore rébarbatives, 
        voire “imbuvables”, comme ont tendance à le dire majoritairement 
        les élèves. Dans nombre de classes, on continue à 
        plaquer des connaissances et à considérer que les élèves 
        doivent les ingérer à travers une “pratique de l’entonnoir”. 
         
        Toutefois, au cours de la dernière décennie, nombre d’enseignants 
        ont multiplié les innovations. Jamais elles n’ont été 
        aussi nombreuses et bienvenues . L’importance de la prise en compte 
        des conceptions des élèves est régulièrement 
        corroborée. Ils repèrent les principaux obstacles à 
        l’élaboration d’un concept, catégorisent les 
        paramètres qui facilitent l’apprendre et en tiennent compte 
        dans leur pratique. Le désir d’apprendre commence à 
        être fortement sollicité d’une part ; d’autre 
        part, la déconstruction des représentations qui préexistent, 
        quel que soit l’âge des apprenants, est favorisée. 
        Dans la mesure où il n’existe pas de recette ou de panacée, 
        ces enseignants multiplient et diversifient leurs propositions en fonction 
        des objectifs, des projets et des élèves.  
        La partie la plus discutable qui persiste est celle des travaux pratiques. 
        Souvent absents ou trop loin de ce qu’est une démarche véritable 
        de laboratoire, ils ne sont au mieux, sauf exception, qu’une simple 
        application du cours magistral et n’initient pas aux compétences 
        requises par la démarche expérimentale. Heureusement, l’introduction 
        du mémoire de Maturité, même s’il reste encore 
        trop souvent un exercice formel de compilation, permet de commencer à 
        inverser la tendance…  
        Sans doute faut-il également, à terme, revoir l’organisation 
        de la semaine ou de l’année pour éviter le “saucissonnage” 
        de l’horaire qui limite d’autant la motivation et l’envie 
        de chercher. Comment faire naître l’intérêt, 
        le désir pour une question complexe et y revenir 3 ou 4 jours après 
        ? Des initiatives sont prises sur ce plan, sous forme d’ateliers, 
        de formules-stage à horaires regroupés ou de semaines banalisées. 
        Le point faible 
        La question des programmes d’enseignement demeure sans doute le 
        point faible. Les contenus dans les différentes disciplines scientifiques 
        se présentent encore comme une suite de notions sans “colonne 
        vertébrale”. Trop peu de liens “de sens” sont 
        tissés entre biologie, chimie, physique et maths, et les concepts 
        organisateurs qui permettraient de fédérer les multiples 
        notions ne sont pas clairement définis, y compris au sein des disciplines. 
        En biologie par exemple, on se concentre en priorité sur d’innombrables 
        mécanismes de détail, en oubliant souvent de les replacer 
        dans la cellule, et cette dernière dans le corps humain. En physique, 
        les formules et les problèmes posés sous une forme canonique 
        prennent une place trop importante par rapport à la compréhension 
        des phénomènes. La physique post-1904 n’y a toujours 
        pas sa place, même à un premier niveau de formulation. Des 
        savoirs transversaux ne sont nullement envisagés. Les technologies 
        restent pratiquement absentes ou abordées comme application. 
        Au vu des programmes en l’état, il semble difficile que les 
        jeunes acquièrent les repères pour notre époque. 
        Ils ne peuvent se faire une représentation du monde conforme à 
        notre siècle et à l’évolution des sciences. 
        En fin de secondaire, ils ne disposent pas de l’optimum de ce qu'il 
        faut savoir pour comprendre les enjeux liés aux technosciences, 
        mesurer les risques, décider pour et par soi-même et participer 
        aux choix collectifs. Cela d’autant plus que les sciences n’ont 
        toujours pas une place suffisante dans les programmes par rapport à 
        leurs impacts dans la société. Et il n’existe pas 
        la possibilité de faire une véritable filière sciences 
        . Heureusement, nombre d’enseignants y pallient de leur propre initiative 
        en faisant une place à l’histoire des idées scientifiques 
        ou en initiant régulièrement des débats sur des sujets 
        d’actualité qui posent des questions éthiques.  
        La qualité et l'ouverture de débats éthiques à 
        l'ensemble des élèves sont le prélude indispensable 
        à une relation de confiance renouvelée vis-à-vis 
        de la science. La possibilité de s'approprier des connaissances 
        sur les biosciences ou sur les nouvelles technologies par exemple, de 
        s'exprimer sur les questions qu'elles posent au quotidien, apparaît 
        prioritaire ces prochaines années, afin de permettre à l’élève 
        de devenir plus présent dans les choix de société. 
         
        André Giordan, physiologiste et épistémologue, est 
        actuellement professeur à l’université de Genève 
        où il dirige le laboratoire de Didactique et Epistémologie 
        des Sciences. Ses travaux portent sur les démarches scientifiques 
        et les mécanismes de l’apprendre d’une part, sur l’approche 
        de la complexité d’autre part. Par ailleurs, il est Président 
        de la Commission internationale de Biologie, Ethique et Education (CBE-IUBS) 
        et du réseau CECSI qui regroupent plus de 3000 enseignants de sciences 
        à travers le monde. 
         
        Principaux ouvrages :  
        A. Giordan, Apprendre ! Belin, 1998, nlle édition 2002 
        A. Giordan , Une autre école pour nos enfants ? Delagrave, 2002 
        A. Giordan et G. De Vecchi, Les origines du savoir, Delachaux, Neuchâtel, 
        1987 
        G. De Vecchi et A. Giordan, L’enseignement scientifique, Comment 
        faire pour que "ça marche"?, Delagrave, Nlle édition 
        augmentée 2002 
        A. Giordan, J et F Guichard, Des idées pour apprendre, 
        Delagrave, Nlle édition 2002 
        LDES: http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/giordan/LDES/index.html 
       |