Enseignement
Scientifique

Faut-il supprimer les sciences à l’école ?

Enseigner n'est pas apprendre

Le rôle du système extra-scolaire

Recherche scientifique et maîtrise de l’information

Pour de nouveaux repères culturels

Programmes et pratiques de l’enseignement scientifique

Rendre simple mais pas simpliste (pdf)

Place du questionnement dans la culture scientifique (pdf)

Partager une science inscrite dans une culture

Interview Sciences et Vie - mars 2005

Toute ressemblance avec une situation actuelle ou passée est purement fortuite...

 

 

 

Pour de nouveaux repères culturels

L’appropriation de savoirs scientifiques et techniques est un facteur essentiel de la compétitivité économique et du rayonnement industriel d’une société, mais pas seulement... Le doublement des savoirs scientifiques en moins de dix ans, l’évolution très rapide des techniques modernes tendent à destabiliser nos valeurs éthiques et culturelles. Les nouveaux défis auxquels nous sommes confrontés (environnement, SIDA et autres épidémies, démographie galopante, crise économique...) réclament de nouveaux repères.
Quelques exemples, l’apparition de nouvelles méthodes de procréation, le génie génétique nous interpellent dans notre vie personnelle ou sociale. Peut-on tout faire ? Quelles sont les limites acceptables ? Quels sont les risques pour l’individu et pour l’Homme ? Qui doit décider, les scientifiques, les médecins, des comités d’éthique, les politiques, les citoyens ?
Le développement des technologies de communication et de traitement de l’information (télématique, informatique, robotique,..), la maîtrise des biotechnologies sont en train de modifier nos modes de production et de consommation. Ils remettent en cause les principes et les fondements de l’économie classique ; la notion de travail se trouve transformée. Dans le même temps, ces nouveaux moyens génèrent tout à la fois du temps libre pour des loisirs et plusieurs millions de chômeurs. Quelle évolution souhaitons nous pour demain ? Au service de qui ? Pour quoi faire?
Sortir les scientifiques
de leur tour d’ivoire
Face à ces enjeux, les savoirs scientifique, technique et médical ne peuvent plus rester enfermés dans les laboratoires, ils doivent être partagés par le plus grand nombre. Ces mutations nous obligent à de profondes remises en cause, elles nécessitent de nouveaux outils de pensée. Elles conduisent à envisager de nouvelles valeurs et de nouveaux mécanismes de régulation de la société.
C’est dans ce contexte, qu’il faut envisager un partage de la culture scientifique. En effet, la culture scientifique par sa contribution à l’évolution de nos visions du monde fait partie intégrante de notre culture. Appelée à jouer un rôle déterminant, elle devient une source d’invention et de créativité pour les prochaines années. Elle peut offrir à chaque individu, en plus du plaisir d’apprendre, les moyens d’une réflexion éclairée sur les enjeux technologiques et l’évolution sociale de demain. C’est de la démocratie même qu’il s’agit. Aucune démocratie ne fonctionne véritablement tant qu’il n’existe de débat sur le type de développement souhaité. Or jusqu’à présent, ni les systèmes et les méthodes de santé, ni les choix énergétiques ou de consommation, ni les transports, ni les choix en matière de naissance (contraception, procréation, ..), ou de mort (euthanasie), ni les types de recherche à valoriser ne font, n’ont fait l’objet de larges débats intégrant les grandes couches de la population.
De plus, à défaut de culture scientifique, aucune discussion ne prend sens actuellement, tant les sciences et les technologies sont imbriquées dans les questions en jeu. Sur quel critères décider ? Comment interpeller les experts ? Comment envisager les retombées d’une industrie ? Comment réfléchir aux implications nouvelles qu’engendre une recherche ? Les scientifiques, les technocrates ne peuvent prétendre se substituer aux citoyens sur de tels enjeux de société.
Pour réconcilier sciences et société
Toutefois la mise en place d’une culture scientifique et technique suppose une modification fondamentale des rapports des individus aux sciences et aux techniques. Pendant que les sciences et les techniques sont un moteur puissant du développement économique et social, alors qu’elles modifient de façon considérable notre vie quotidienne, le fossé tend à se creuser entre les sciences, les techniques et la société .
La majorité des individus continue à penser que ces disciplines ne les concernent pas, qu’elles sont l’affaire des spécialistes. De l’autre côté, les scientifiques, les ingénieurs, les médecins, dans des domaines de plus en plus étroits, doivent produire de plus en plus rapidement des savoirs partiels pour rester compétitifs. Leur travail ne les pousse pas à s’interroger sur le pourquoi ou le comment des conséquences de leurs études, sur les implications de leur travail.
Les sciences et techniques deviennent alors l’objet de controverses. Pris à partie, elles suscitent de nouvelles interrogations, soulèvent des contradictions et font même émerger de l’angoisse. Le développement de mouvements anti-science, la montée de l’irrationnel et de l’intégrisme popularisée par la télévision sont là pour en témoigner.
La réconciliation entre sciences et société, entre culture classique et culture scientifique, représente ainsi un des enjeux de notre temps. Encore faut-il que les chercheurs sortent de leur tour d’ivoire.
Les scientifiques, les ingénieurs, les médecins ont à ce titre une grande part de responsabilité, celle de dialoguer avec le grand public. Au delà de leur propre spécialisation, ils ne peuvent plus se contenter de penser ou d’agir de façon sectorielle, il doivent se donner comme projet d’appréhender les systèmes humains, environnementaux et culturels dans lesquels ils évoluent dans toute leur complexité.
Tour à tour, ils devraient apparaître comme veilleurs de tous les instants, donnant l’alerte et faisant de la prévention pour la société qui les subventionne et comme prospecteurs parce qu’ils ont à éclairer, repérer, évaluer les possibilités et les risques encourus...
Sur ces plans, leur tâche essentielle n’est cependant pas de délivrer des certitudes, mais d’expliciter les enjeux, les options, les hypothèses et d’envisager les scénarios possibles. Sous ces conditions, ils peuvent fournir les éléments indispensables aux décideurs et aux simples citoyens pour se déterminer.
Une politique culturelle intégrée
Toutefois cette transformation des relations science-société n’est pas seulement l’affaire des spécialistes . L’école a toute sa place, à condition qu’elle sache se réformer en profondeur. Lorsque l’on demande aux jeunes si les sciences les intéressent à l’école, ils répondent presque imman-quablement par la négative. Et de fait, il faut bien l’avouer : en Europe, l’élève est fréquemment dégoûté par les sciences à l’école, sa curiosité diminue avec le niveau scolaire.
Les programmes, les méthodes, les cours de sciences ratent fréquemment car ils ne prennent pas en compte suffisamment le plaisir qu’a le jeune de découvrir. Certes, les sciences et les techniques ne sont pas des sujets immédiatement porteurs comme le sport ou la musique rock... Mais les sciences font peur, elles sont trop utilisées uniquement comme éléments de sélection. De plus, les choix pédagogiques actuels ont donné à ces approches un abord plutôt rébarbatif, nécessitant de la mémorisation, un vocabulaire abscons et moult formules mathématiques.
Dès lors, cet enseignement rend impossible le projet de faire acquérir un optimum de savoirs au plus grand nombre, ainsi qu’une mise en perspective de ces derniers. Bien plus, cet enseignement scientifique trop rapidement abstrait, sans signification pour leur vie, menace la qualité de la culture à faire acquérir. Heureusement, de nombreux enseignants ont pris le problème à bras le corps, nombre d’innovations sont en cours et leurs résultats spectaculaires.
Mais l’école aujourd’hui n’est plus l’unique lieu d’appropriation des savoirs. La mise en place d’une culture nécessite la mobilisation de toute la communauté. Les médias, et notamment la presse et la télévision, ont toute leur place, à condition que ces dernières ne se limitent plus à l’événementiel et au spectaculaire.
Des musées, des Cités du savoir, de nouvelles associations de partage du savoir sont à créer, ils ont également un rôle irremplaçable. Ces lieux ne sont pas là pour faire élaborer les connaissances à la place des individus, leur challenge est de mettre ceux-ci en situation de s’interroger et de comprendre.
Par ailleurs, une approche intégrée (école et médias) des sciences et des technologies est à mettre en place . L’enjeu n’est plus une “science devenue culture”, mais l’apport des sciences à l’émergence d’une nouvelle culture partagée. Encore faut-il que les stratégies d’éducation et de médiation scientifiques soient porteuses de sens pour les individus ; et pour cela qu’elles partent des questions, des besoins, des démarches des individus, et non l’inverse. Les interrogations des élèves ou les conceptions du public ne sont pas des ignorances à combler, elles sont des passages obligés.
Qu’entend-t-on par culture scientifique et technique ?
Il nous faut nous interroger sur la place et la nature d’une culture scientifique dans la société actuelle, sur le “futur intelligent" comme disent nos collègues québécois auquel elle peut contribuer. Malheureusement, le mot culture est un mot-valise que l'on apprête à toutes les sauces.
Actuellement, cette dernière reste largement envisagée sous un mode élitaire, même par les scientifiques et les médiateurs les mieux intentionnés. C'est celle des “oeuvres” reconnues (savants, grands concepts,..) ou des liaisons avec les cultures établies (littérature, arts,..). Or la culture de notre temps est nécessairement plurielle. Elle doit être dépendante, sinon motrice, des grandes mutations de nos sociétés.
A l’heure du complexe, de l’aléatoire, des problèmes multiples liés à la crise, et face aux nouvelles menaces démographique, d’environnement, une culture scientifique peut être pensée autrement. D’abord, elle se doit de réduire l'écart entre les nouvelles conditions d’existence introduites par les transformations scientifiques et le niveau des populations, en enrichissant le savoir de chacun. Tout savoir est une diminution des dépendances, à commencer par celles de l’usage ou de la maintenance des objets du quotidien.
Une telle culture commence quand on interpelle les certitudes ou les évidences. Elle doit fournir l’envie de chercher, la curiosité d’aller au delà de l’évident et du familier. Elle développe un esprit critique et une confiance en soi, elle apprend à douter à travers un questionnement opératoire, etc..
Ensuite, elle comporte l’appropriation de démarches : la démarche expérimentale certes, mais pas seulement. L’approche systémique, la pragmatique, la maîtrise de l’information et la modélisation font désormais partie intégrante d’une culture de base.
Cette culture doit fournir également de nouveaux repères (des concepts organisateurs) pour permettre de situer et de faire des liens entre les multiples informations. On dépasse ainsi un savoir « en miettes ». Elle fournit alors les éléments d’une pensée commune pour pouvoir partager et de la matière pour inventer de nouveaux possibles pour « sortir » des impasses actuelles.
Enfin cette culture ne peut être en aucun cas le produit d’un enseignement ou d’une médiatisation des sciences ou des techniques pour elles-mêmes. Ces dernières se doivent de proposer en premier un « regard » sur le monde et la société qui nous entoure.
Un savoir sur les savoirs est également un « passage obligé » pour situer et mettre en perspective sciences, techniques, éthique et société. L’apport de l’épistémologie, de l’histoire des sciences et des idées, de l’anthropologie et de la sociologie est indispensable.