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TDAH ou l’invention d’une pathologie…
André Giordan
« Autres temps, autres mœurs » dit le proverbe. Il conviendrait de préciser autres considérations ou représentations également. Dans le cas du trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité, la chose est flagrante : avec l’évolution de notre société, c’est notre regard qui lui aussi s’est transformé vis-à-vis de ces enfants en souffrance. Et pourtant… qu’en est-il vraiment ? Ne serait-il pas temps de (re)penser enfin le TDAH, au niveau sociétal comme dans les approches proposées ?
Il était une fois…
Il était une fois des enfants pleins de vie qui avaient besoin de bouger. Avec un petit sourire au coin de l’œil, le maître d’école d’antan disait : « il est bien turbulent celui-là », « Il ne tient pas longtemps en place ! » ou encore « C’est un véritable ouragan » ! L’enseignant l’envoyait couper du bois et s’occuper du poêle entre deux apprentissages. Dans la classe, il pouvait prendre en charge les plus jeunes ; à la récréation, il avait pour mission d’éviter les bagarres ou de s’occuper du potager…
Aujourd’hui dans une société urbanisée, polissée, aseptisée, ces enfants sont en grande souffrance. En classe, ils n’ont plus la possibilité de bouger pendant 5 à 6 longues heures. En maternelle, tout peut se passer encore presque normalement avec un choix d’activités. Ils sont juste un peu bruyants, tout comme ils peuvent l’être à la maison quand les parents sont un peu laxistes ou dépassés pour de multiples raisons. Quand commence le primaire, les choses se gâtent fortement. Comme les cours sont souvent à cent lieux de leur intérêt, de leurs préoccupations, ils bougent, se déplacent, s’agitent… Ils n’écoutent plus quand on leur parle : ils ne suivent pas les consignes et se laissent facilement distraire. Leur besoin de faire, d’exister, les pousse à agir avant de réfléchir ; par exemple, ils répondent aux questions avant d’en avoir compris le contenu. Impatients, ils sont incapables d’attendre leur tour de parole. Ils interrompent les autres et s’imposent à eux. Résultats : ils se font prendre « en grippe » par le professeur, et les mauvaises notes ou les appréciations désastreuses pleuvent. Progressivement, ils finissent tout simplement par ne plus pouvoir se concentrer.
A la maison, ils ont peu d’espace pour se mouvoir. Pour éviter le sentiment d’être enfermés, ils remuent sans cesse leurs pieds, se tortillent, se lèvent à tout moment ; ils ont envie de courir, de grimper et le font dès qu’ils le peuvent… Ils se comportent comme s’ils étaient littéralement montés sur ressorts. Pour faire leur place, ils parlent beaucoup, parfois très vite. Ils leur arrivent le plus régulièrement d’oublier et de perdre leurs propres affaires. Ils accumulent les étourderies. Au quotidien, ils peuvent devenir excessivement insupportables pour la famille.
Les parents, pas préparés à élever des enfants et devenus peu enclins à l’autorité s’en remettent à l’école et se découragent quand rien n’évolue. Les professeurs, sauf exceptions, peu formés pour s’occuper des enfants qui n’entrent pas « dans les rails » se trouvent désemparés, d’autant plus que les réprimandes, les sanctions ne sont d’aucun effet. Prisonniers de classes surchargées, dans un cadre souvent exigu avec des couloirs et des réfectoires qui résonnent, ces enfants deviennent ingérables. De classe en classe, les enseignants se renvoient la « patate chaude ». Pour ces enfants, pour les enseignants, pour les parents, tout devient infernal. L’intense activité, qui passait jusque-là pour un trait de caractère ou une qualité, devient réellement un problème insurmontable.
Qui sont les pompiers ?
Et quand il y a problème aujourd’hui, on ne cherche plus à le régler personnellement, on va vite chercher les pompiers. Et qui sont les pompiers en la matière ? Les médecins, les psychologues ou les psychiatres. Ces derniers sont « encouragés » par les firmes pharmaceutiques qui ont tout de suite flairé le « bon marché » (1) : l’agitation désordonnée est érigée en pathologie à traiter.
Étonnamment, mais cela confirme le point précédent, cette maladie n’a été décrite cliniquement qu’au début du XXe siècle. Depuis, faute de consensus, elle a connu plusieurs dénominations successives : en 1968, elle est qualifiée de syndrome de l'enfant hyperactif et apparaît dans le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM), la fameuse bible des psychiatres. En 1980, elle devient le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité, puis le trouble d'hyperactivité avec déficit d'attention ou THADA en 1987. Désormais, on lui préfère les termes de « déficit de l'attention avec hyperactivité (DAAH) » ou « trouble de déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH, dénomination francophone adopté en 2000 au Québec) ».
Pour en faire une « vraie » pathologie objectivable, il fallut le référencer. Ainsi le DSM-IV de 1994 propose aux médecins 2 listes de symptômes : le jeune patient est qualifié de « TDAH » s’il présente au moins 6 de ces caractéristiques qui « ont persisté pendant au moins 6 mois, à un degré qui est inadapté et ne correspond pas au niveau de développement de l’enfant ».
Un certain nombre de symptômes sont ainsi listés sui nous confrontent à plusieurs difficultés.
Pas évident d’objectiver de tels comportements aussi diversifiés, sans indicateurs précis, laissés à la subjectivité de chacun ; et pourquoi 6 symptômes, et pourquoi regroupe-t-on inattention et hyperactivité ? Les questions sont multiples, et les comportements encore plus… Un enfant peut être très énergique sans souffrir d’hyperactivité, un autre avoir parfois « la tête dans les nuages » sans que l’on puisse dire qu’il s’agit d’un déficit de l’attention et l’impatience infantile est somme toute assez courante, surtout quand la classe ne correspond pas à l’attente.
Le DSM-5 de 2013, pas encore traduit en français, reprend ces deux listes. Il conserve pour l’enfant et l’adolescent les seuils de 6 symptômes exigés dans chacune des deux listes. Toutefois, il abaisse à 5 symptômes –peut-on dire pourquoi ?- le seuil diagnostique chez l’adolescent après 17 ans et chez l’adulte.
S’il est déjà intéressant de noter combien cette supposée maladie a varié avec le temps dans ses noms et ses symptômes, nous sommes encore plus confondus quand nous prenons connaissance du CIM (2) 10, la référence pour les psychiatres français. Il existe une divergence assez radicale dans l’algorithme diagnostique qui conduit à douter du sérieux du pronostic.
En effet, difficile de voir une cohérence pathologique dans les multiples facettes comportementales qui y sont présentées et portant sur des agissements divers et variés, surtout qu’aucune anomalie anatomique, physiologique ou génétique ne les atteste. Ne crée-t-on pas artificiellement une maladie ? Aucun test réel et fiable n’existe. Ne pathologiste-t-on pas seulement des comportements qui sortent d’une norme sociale ?...
Le traitement existe-t-il vraiment ?
Peu importe ces polémiques, qui renvoient plus à l’acceptabilité d’une société qu’à une pathologie avérée sur lesquels nous reviendrons, abordons la question du traitement car ces mêmes psychiatres ont mis au point un traitement de l'hyperactivité. Comme ils ne peuvent agir sur les causes, ils interviennent sur les conséquences par l’administration d’un traitement médicamenteux (3). Paradoxalement, la molécule utilisée pour calmer est un stimulant, on pourrait même la qualifier de dopant puisque à base de méthylphénidate, une formule chimique proche des amphétamines. Pour l’histoire, ce produit a même été inscrit dans le tableau des stupéfiants en 1971. Il se dénomme Ritaline®, pour le public Ritaline LP®, Concerta LP®, Quasym LP®. Il aurait un effet tranquillisant chez les hyperactifs, serait censé améliorer la concentration et l’écoute (4), et diminuerait impatience et impulsivité, d’où une diminution de l’agitation physique, « avec des bénéfices significatifs démontrés ». Le tout étant attesté par « de nombreuses études contre placebo » comme nous pouvons le lire sur les documents psychiatriques. Telle est ainsi confirmée la prescription.
Toutefois tout comme le diagnostic, le traitement n’est pas sans poser des questions biologiques, médicales et surtout éthiques. D’abord, la méthylphénidate semble augmenter la concentration de certains neurotransmetteurs dans les synapses, notamment la noradrénaline et la dopamine. En fait, il serait plus honnête de dire que nous ne savons pas vraiment comment fonctionne ce médicament, comme c'est le cas pour l'immense majorité de ceux qui agissent sur le psychisme. La plupart d’entre eux ont été découverts par tâtonnement en testant de nombreuses molécules sur les rats ou les souris de laboratoire. Brevetée en 1954 par CIBA (5), actuellement Novartis, la Ritaline® a été initialement envisagée pour traiter la dépression et la narcolepsie.
Ensuite, de part sa parenté avec les amphétamines, l’utilisation du méthylphénidate n’est pas sans risques directs et indirects. Entre 2005 et 2011, plus de 400 effets indésirables ont été notifiés aux centres de pharmacovigilance français. La plupart sont qualifiés de « bénins et transitoires », mais pas sans inconvénient : baisse de l’appétit, augmentation de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle diastolique et des retards de croissance. En sus, on constate une augmentation de l’émotivité, l’irritabilité, l’anxiété, accompagné d’une humeur maussade, des difficultés d’endormissement, une diminution de la spontanéité et de la réciprocité sociale et une aggravation des tics et des tocs.
Heureusement, tous les psychiatres ne sont pas sur cette ligne thérapeutique. Certains s’interrogent: « guérir le TDAH leur apparaît comme un objectif actuellement inaccessible, en l’absence de méthode thérapeutique apte à en faire disparaître les symptômes définitivement » (6). Il s'agit donc pour eux d’atténuer les troubles et malgré leurs réticences, doivent prescrire quand même la Ritaline®. Ils considèrent que ce traitement apporte des bénéfices partiels et transitoires et les protègent d’une évolution péjorative. Surtout que la demande sociale est forte et depuis le 12 février 2015, la Haute Autorité de Santé s'est prononcée en faveur de la reconnaissance du TDAH comme handicap, ce qui rassure les familles et leur permet d’obtenir des aides.
Malgré les multiples échecs, évidemment non répertoriés, et pour garder bonne conscience, ils s’appuient sans les discuter sur les recommandations internationales basées sur les méthodes de la « médecine fondée sur les preuves ». Preuves dont tout scientifique pourrait contester pour la plupart la validité sur le plan méthodologique : des corpus trop petits, des interprétations abusives ou des limites passées à la trappe. Comble de tout, il n’existe pas d’études systématiques concernant l’impact positif direct de la Ritaline® sur les résultats scolaires (7). Ce n’est pas faute d’avoir cherché…
Attention Stigmatisation…
En nous basant sur notre propre expérience d’enseignant, nous pouvons avancer plusieurs constatations. Le fait d’aller voir des psychiatres, des neurologues ou même des psychologues en dehors de l’école stigmatise irrémédiablement ces enfants. En leur collant une étiquette dont ils auront ensuite du mal à se débarrasser, nous psychiatrisons des enfants pleins de vie. Les élèves sont cruels entre eux. La psychiatrie les renvoie à la « folie ». Il n’est pas rare d’entendre dire ensuite de leur camarade à la récréation : tel enfant est plutôt « zin-zin », « fou », « paranoïaque » ! Parallèlement, ces enfants ont des difficultés d’acquisition du langage écrit, des mathématiques, leur coordination motrice est mal assurée et ils finissent par présenter des troubles d’anxiété. Devant ce panorama, certains psychiatres mettent en avant d’autres perspectives. La psychanalyse ayant moins d’aura, ils prennent appui de plus en plus souvent sur les TCC ou sur l’approche dite « multimodale ». Cette dernière implique plusieurs autres professionnels selon les cas : psychologues, orthophonistes, psychomotricien(ne)s et ergothérapeutes. Un ensemble de personnels aux pratiques pas toujours cohérentes entre elles qui finissent de les déstabiliser et leur faire perdre l’autonomie et l’estime de soi. Ce qui conduit encore plus à les exclure du système scolaire habituel.
Une approche pédagogique différenciée serait la bienvenue. Malheureusement, elle reste encore trop peu fréquente, car ni les enseignants, ni l’institution ne se sont encore emparés de cette souffrance, sauf exceptions. Pourtant c’est dans cette direction, qu’il serait clairement très utile d’aller !8) - Ce que démontrent les cas que nous avons pu régler durant notre parcours professionnel. Mais cela implique une formation ad hoc des enseignants pour prendre en compte la différence, une autre approche pédagogique, plus innovante, notamment centrée sur une multiplicité de propositions à disposition de l’enfant (projet, activités diverses et variées, contrat à gérer à son rythme,..) et des locaux adaptés pour permettre à cet enfant de se déplacer soit pendant l’apprentissage, soit entre deux moments d’apprentissage.
Cette supposée pathologie pourrait ainsi se « soigner » autrement –ou plutôt pourrait s’éviter- en proposant des rituels scolaires moins contraignants et surtout en «nourrissant » intellectuellement ces enfants… C’est ce qu’il advient quand ces enfants entrent dans des écoles plus actives avec des pédagogies mettant du sens sur les activités scolaires et plus centrées sur la personne. C’est le cas des écoles type Montessori ou Freinet ou du Collège optimal que nous avons mis au point (9).
Une telle approche de ces comportements serait nettement préférable ; à côté des effets secondaires, les risques d’addiction ne sont pas négligeables dans les pratiques médicamenteuses actuelles. Une étude réalisée sur 500 étudiants par l’Institut national américain sur la consommation de drogue (National Institute on Drug Abuse) durant une période de vingt ans a montré que ceux qui avaient pris de la Ritaline® et des médicaments similaires couraient beaucoup plus de risques de s’adonner à la cocaïne et à d’autres stimulants par la suite.
En amont, le traitement actuel crée un type de comportements pervers chez ces jeunes : la prise de Ritaline® induit l’idée du «médicament ad hoc» pour chaque usage de la vie. Il s’ensuit des risques d’hyperconsommation médicamenteuse, réflexe fréquent chez ces adultes ensuite : «j’ai besoin de me calmer », « j’ai besoin de m’exciter », etc.. ; dans chacun de ces cas, un médicament adéquat est recherché et consommé…
Une question de citoyenneté
Le médicament est la solution de facilité sur le court terme, il fragilise la personne sur la durée. Une étude belge indique que ces trois dernières années, le nombre de jeunes qui atterrissent en psychiatrie et sont hospitalisés a été multiplié par 7 en 5 ans. La cause serait la résultante des effets secondaires des médicaments utilisés pour le traitement des troubles de l’attention : ils induiraient des comportements psychotiques chez ces jeunes êtres.
Mais les questions principales devraient se poser en amont. Peut-on faire de ces types de comportement une pathologie avérée ? Ces questions sont globales quand on souhaite traiter un comportement ; elles ne devraient ne pas se poser uniquement pour ce cas. En effet, une expertise collective de l'Inserm (10) préconise un dépistage précoce de tous les troubles des conduites. Ne tombons-nous pas sur une «médicalisation du mal-être social » et un risque de dérives à des fins normatives et de contrôle social. Questions d’autant graves qu’on ne peut exclure derrière l’intervention des lobbys médicaux et des firmes pharmaceutiques.
En psychiatrisant ces enfants de façon de plus en plus fréquente, nous éludons un débat citoyen. Est-il normal de modifier chimiquement le comportement d’enfants dits «remuants » pour qu’ils se plient à l’école et aux contraintes sociales ? La question se pose à l’identique, chez « l’enfant qui pique des colères » comme on aurait dit antérieurement. Aujourd’hui, cet enfant est également mis en consultation, il devient « DEI » (Désordre Explosif Intermittent). S’il produit trois crises de colère par semaine, le DSM le catégorise dans les « troubles mentaux », alors que l’étiologie reste tout aussi mal définie.
Cette supposée objectivité comme l’introduction d’acronymes à consonance scientifique pour le grand public, favorisent des diagnostics rapides et pas forcément pertinents pour ces sujets jeunes. Le problème est-il vraiment l’enfant ? N’est-ce pas plutôt une certaine éducation donnée par des parents actuellement dépassés ? N’est-ce pas ensuite l’école qui est «malade»… en introduisant à longueur de journée des contraintes inadéquates pour des enfants de cet âge et de cette prédisposition, sans prendre le temps et les moyens ensuite de régler ces souffrances qu’elle introduit ?..
Pour en savoir plus :
Giordan, A. (2002) Une autre école pour nos enfants, Paris : Delagrave.
Saltet, J. Giordan, A., Changer le collège, c’est possible, Oh Editions, 2012
Giordan, A. et Saltet, J. (2007) Apprendre à apprendre, Paris : Librio.
Giordan, A. (2015), Trente ans sans médicaments, Paris : Lattès.
1. En France, de 3 % à 4 % des garçons et 1 % des filles d'âge scolaire sont concernés par le TDAH, soit entre 135 000 et 169 000 enfants.
2. Classification Internationale des maladies.
3. En France, des précautions sont censées être prises : la prescription initiale est réservée aux spécialistes exerçant dans un établissement de santé public ou privé, pour une durée maximale d'un an. Ces spécialistes peuvent être des pédopsychiatres, neurologues, neuropédiatres, psychiatres, pédiatres ou médecin des centres du sommeil. Limitée à 4 semaines, la prescription doit être renouvelée ensuite, sur ordonnance sécurisée, par le médecin généraliste.
4. Son emploi s’est ainsi répandu aux étudiants lors des examens et aux hommes politiques en campagne électorale.
5. Le chimiste qui l'a mise au point lui a donné le surnom de son épouse : Rita !
6. http://www.tdah-ressources.org/-/Diagnostic/Enjeux_1
7. Voir Gonon, F. (2016) La psychiatrie biologique et le TDAH, Sciences Psy, 6, p.
8. Heureusement de jeunes psychiatres prennent cette direction, en collaborant avec des enseignants et des psychologues pour proposer des approches pédagogiques et un accompagnement personnalisé à domicile : exemple Psyadom.
9. J. Saltet, A. Giordan, Changer le collège, c’est possible, Oh ! Editions, 2010
10. Coll, Trouble des conduites chez l'enfant et l'adolescent, INSERM, 2005.
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