Éducations à l'environnement
et au développement durable


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Éducations à l'environnement
et au développement durable

André Giordan



Nombre d’activités d’Education à l’Environnement (EE) puis d’Education au Développement durable (EDD) ont été mises en place depuis trois décennies. Pourtant ces éducations et ces médiations manquent d’histoire ! Nombre d’actions et d’innovations sont effectuées sans tenir compte des études et des résultats antérieurs.
L’évaluation de l’impact réel sur les publics choisis (école-grand public) des activités, des projets et des recherches en cours devient une priorité. Elle permettrait de recenser les possibilités, les obstacles et de dégager les lignes d’un développement. En effet, nombre de pratiques d’enseignement ou d’animation dans des réseaux associatifs se trouvent confrontés à des difficultés constantes : objectifs trop ambitieux ou mal adaptés au(x) public(s) visé(s); activités pédagogiques ou médiatiques souvent réductrices,..
A la lumière des évaluations effectuées et des présentations du 3ème WEEC, quels obstacles sont à dépasser dans les pratiques en place ? Comment faire évoluer les structures habituelles ? Comment repenser la formation des enseignants et des animateurs pour introduire les dimensions de l’EDD ? Quelles nouvelles recherches mettre en place pour éclairer ces directions ? Plusieurs questions didactiques « vives » apparaissent ainsi à traiter en priorité au sein de l’EE et de l’EDD.

Les analyses du sang et de la graisse des ours polaires mettent en évidence des pesticides, des métaux lourds et des polluants organiques permanents (POP) qui témoignent de l'omniprésence de la pollution à la surface de notre planète. Ainsi, malgré les travaux des scientifiques, le dévouement des militants, les mesures prises par les Etats, la percée du "fait écologique" dans l'opinion par le biais des grands médias, les enseignements et les animations réalisées, l’environnement continue de se dégrader dramatiquement.
Cette détérioration est aggravée par les déséquilibres grandissant entre les pays riches et les pays pauvres et par l’absence de volonté politique de mettre en place des régulations planétaires. Le comportement récent de plusieurs grands pays industrialisés de ne pas ratifier la Charte de Kyoto en matière d’émission de dioxyde de carbone dans l’atmosphère en est encore un bel exemple. L'humanité continue à foncer, mue par la seule vision à court terme des enjeux économiques, et par l'énorme inertie des habitudes collectives et personnelles, à l'image de ces “super tankers“ de 500.000 tonnes qui poursuivent leur trajectoire sur leur lancée.
Notre société mondialisée est ainsi confrontée à un triple défi :
1. traiter l’urgence des graves problèmes auxquels est confrontée l’humanité, de façon générale d’une part et de façon locale d’autre part ;
2. former les nouvelles générations ;
3. s’interroger sur ce que nous voulons. Et notamment, sur comment « vivre ensemble » dans la différence.
Toutefois, ce texte se limitera aux questions abordées lors des WEEC à savoir essentiellement le point 2.

Bref historique de l’EE et de l’EDD

La Conférence des Nations Unies sur l’Environnement humain de Stockholm (1972) recommande à l’UNESCO de mettre au point un programme d’éducation relative à l’environnement destiné à tous les publics. Pour répondre à ce défi et permettre le développement d’une nouvelle approche de l’environnement au sein d’une stratégie internationale, l’UNESCO conçoit un cadre conceptuel, une stratégie pédagogique et des modalités d’action.
Le point de départ officiel de ce qui sera le premier Programme International d’Education relative à l’Environnement (ou PIEE) fut la conférence de Belgrade (1975). Il sera enrichi lors de la conférence intergouvernementale de Tbilissi (1987) qui fut sans doute le point d’orgue de cette phase institutionnelle. Ces deux événements dégagent quelques principes fondateurs, toujours d’actualité :
- l’environnement est une réalité complexe, multidimensionnelle qui implique que toute action le concernant -éducation y compris- adopte une approche holistique et interdisciplinaire,
- l’enjeu et la problématique de l’environnement n’est pas de préserver la nature pour elle-même mais comme support du développement actuel et futur de l’humanité,
- l’éducation relative à l’environnement n’est pas une nouvelle discipline mais un moyen pour enrichir le contenu des disciplines existantes (concepts nouveaux, introduction des dimensions attitudes, méthodes et clarification des valeurs) et les formes et les modalités de l’éducation en général,
- l’éducation relative à l’environnement ne doit pas rester une vue de l’esprit, elle doit s’enraciner dans le quotidien, stimuler l’initiative, la recherche de solution, la participation sociale dans une concertation d’intérêt.
- l’éducation relative à l’environnement doit préparer en priorité les populations à mieux gérer -en tant que producteur, consommateur et aménageur- leurs relations avec l’environnement.
Ce programme fut complété, sur le terrain, par des conférences régionales et, de manière plus théorique, par une série de recherches, dont la recherche INRP-UNESCO-PNUE (1976 à 1980) qui joua un rôle pilote pour promouvoir des outils pour la formation des enseignants et des formateurs. Depuis, les initiatives se sont multipliées sur le plan local dans pratiquement tous les pays.
Cette préoccupation a été reprise dans de multiples conférences internationales, notamment celle de Rio (1992) qui consacra à travers l’Agenda 21 le concept de “développement durable” (sustainable development), ce que confirmera la même année la conférence de Toronto à travers l’EDD.

1972 Conference of Stockolm
1975 Conference of Belgrade
1977 Intergouvernemental conference of Tbilissi
1987 Conference of Moscow
1992 Agenda 21 and Education, Rio de Janeiro, puis Toronto
JES CESCI de Chamonix (1986, 1991, 1997),
Première Conférence européenne CEE Toulouse (1994)
Planet'ErE (Québec 1997, France en 2001, Burkina-Faso en 2005)
WEEC 2 Rio (2004)
WEEC 3 Turin (2005)…

Principales conférences EE, puis EDD, sur le plan international


Bilan des actions éducatives et médiatiques

“Former les jeunes”… qu’est ce que cela signifie ? Et comment s’y prendre ? L’Agenda 21 reste très vague à ce propos. Il avance seulement une série de principes généraux que l’on peut résumer schématiquement de la manière suivante :
- « une articulation entre l’environnement, l’économie et le social »,
- « une approche transversale et systémique »,
- « une harmonisation entre le court terme et le long terme, basée sur le principe de précaution »,
- « une solidarité entre les pays riches et les pays pauvres, ainsi qu’une solidarité entre les générations actuelles et futures »
- « de nouvelles formes de gouvernance visant un renforcement de la démocratie ». Et le très célèbre : « penser globalement, agir localement ».
Toutefois sur le plan éducatif ou médiatique, tout au plus peut-on lire :

« Le développement durable est une notion dynamique recouvrant une vision nouvelle de l’éducation»
Elle doit conduire à :
- « sensibiliser le public,
- permettre l’accès à une éducation de qualité (et)
- réorienter les programmes d’enseignement existants »

Comment ces directives se sont-elles concrétisées sur le terrain ? Quelles innovations ont été entreprises ? Par qui et de quelles façons ? Quelles recherches ont été mises en place ? Sans aucun doute, ce furent les grands médias (journaux, télévision et radio) qui ont le plus contribué à éveiller l’opinion publique, et notamment les jeunes. Tous ont traité les principaux problèmes (pollutions par hydrocarbures ou nucléaires, désertification, etc.) et approché les questions globales liées à la biosphère (couches d’ozone, effet de serre, démographie, etc.).
Sur la lancée, des organisations non gouvernementales, des associations de défense de la nature, des groupes d’écologistes ou de consommateurs se sont créés et développés. Quoique disparates, ils ont largement contribué à cette prise de conscience. Des opérations de sensibilisation spectaculaires reprises par les médias ont été effectuées. De leurs rangs, sont sorties quelques personnalités marquantes qui se retrouvent sur le terrain médiatique ou politique.
De nombreuses administrations nationales ou régionales, des entreprises privées publiques ont compris l’importance du mouvement de “protection” de l’environnement. Elles ont développé les informations en la matière (brochures, plaquettes, expositions,..) ainsi que des services spécialisés. A ces fins, elles ont promu une documentation importante, notamment à l’intention des jeunes.
Les grandes administrations nationales ou locales ont joué également un rôle positif en créant des structures d’information ou des lieux d’accueil pour des activités environnementales.
Sur le plan de l’éducation formelle, des Commissions de réflexion ont vu le jour dans la plupart des Etats. Au sein de la scolarité obligatoire, des programmes, des curriculums ont été réorientés et des recommandations ont été insufflées. Des activités, du matériel ou des objectifs ont été produits et un certain nombre d’enseignants ont été sensibilisés. Des ateliers, des projets ont été menés à terme avec un certain succès dans les écoles. Des actions de sensibilisation ont eu également lieu dans l’enseignement secondaire supérieur ou dans l’enseignement professionnel en relation avec les métiers. De plus, des filières spécifiques ont été mises en place dans l’enseignement universitaire. Des réseaux, souvent associatifs, pour regrouper les enseignants ou les animateurs se sont également développés. Ils proposent des séminaires de formation, des ressources pédagogiques ou encore des sites Internet très riches.

Quels impacts en a-t-il résulté ? Des enquêtes récentes relatives aux motivations des adolescents en matière de DD mettent en évidence une très forte préoccupation face aux problèmes environnementaux Malheureusement, ils l’expriment en termes d’inquiétude, de frustration, et donc de peur et de découragement pour leur avenir.
Avec le recul, il apparaît que l’impact des médias en matière de formation des jeunes est resté très limité. Centré sur l’évènementiel, le spectaculaire, le sensationnel, sans possibilité d’échanges, de débats mais surtout d’accompagnement pour comprendre et agir, ils ont surtout contribué à créer chez eux un fort sentiment d’impuissance, et à terme de non-responsabilisation dans leurs comportements au quotidien. De plus, ils n’ont pu leur faire acquérir ni des méthodes de travail, ni des concepts de base (1).
Il en est de même pour les multiples évènements ou documentations fournies par les administrations publiques ou privées et par les entreprises. Toutes ces opérations sont caractérisées par un “bon vouloir” écologique ; ce dernier masquant souvent une absence de méthodes de travail, tant pour aborder les problèmes que pour les solutionner (2).
Il en résulte beaucoup de spontanéisme dans les changements souhaités ; elles perpétuent beaucoup d’illusions pédagogiques. Notamment la documentation fournies n’apparaît pas pertinente sur le plan de la prise de conscience des problèmes. Encore trop influencée par les méthodes de la publicité et les techniques de communication, elle constitue avant tout une sorte de “faire-valoir” de l’entreprise ou des élus. Quand elle cherche à informer, elle demeure fréquemment illisible ou incompréhensible par ses implicites et une non-prise en compte des publics en général, et des publics jeunes en particulier.
Globalement, l’école obligatoire n’a su faire mieux. Certes il y a eu des entreprises remarquables dans un grand nombre d’établissements; toutefois les enquêtes montrent que l’implantation de l’EE et de l’EDD dans le système éducatif formel s'avère encore très faible. Au mieux, de 5% à 10 % des élèves dans les pays développés ont été “sensibilisés” par une première approche.
En outre, l’impact qualitatif -en termes d’acquisition de méthodes et de concepts- reste très limité. Il ne suffit pas d’avoir dans sa classe une période et de l’utiliser pour l’E. pour faire apprendre efficacement l’E. Les jeunes disent fréquemment : « les cours EE ou ESD sont ennuyeux... ». « Nombre d’heures sont difficiles, souvent “imbuvables”,… » « au début on aime bien cela, rapidement cela devient aussi fastidieux qu’un cours d’anglais » !.. De fait les élèves ne s’approprient pas l’E de façon opératoire, mais « ingurgitent des formules magiques » présentées comme des « vérités formulées » par d’autres. Il s’agit souvent de stéréotypes ou mots creux (« pollutions », « perte de biodiversité », « charge environnementale »,. inopérants dans la pratique.
L’acquisition de démarches de pensée spécifiques à l’EE et à l’EDD, comme la démarche systémique, la pragmatique ou la modélisation restent des plus balbutiantes. La maîtrise des concepts principaux (aménagement, ressources, développement durable, etc.) n’est pas assurée. Cet apprentissage donne « bonne conscience » ; il conduit le plus souvent à la lamentation plutôt qu’à l’action.
Par ailleurs, sous le vocable d’EE ou d’EDD, on continue à traiter des thèmes classiques, à pratiquer une « pédagogie du milieu » sur des lieux privilégiés, à composantes géographique, historique ou naturaliste. Peu de propositions portent sur l’environnement urbain ; les composantes économiques en terme de production et de consommation sont la plupart du temps oubliées. Les valeurs et les paradigmes qui sous-tendent les actions sont rarement interrogés.
De même, les cursus universitaires habituels -à l’exception des parcours spécialisés dans le domaine- n’ont pas de sensibilisation dans leur programme. Quant à la formation des adultes, elle reste très restreinte : on peut répertorier quelques apports d’informations auprès des professions liées à l’environnement, des administratifs des collectivités locales ou des politiques. La grande majorité des ingénieurs ou des techniciens ne reçoivent même pas une simple initiation dans leur formation initiale.

Perspectives immédiates

L’Education à l’environnement et l’éducation au développement durable reste à la croisée des chemins. Vivement souhaitée, elles sont envisagées comme une nécessité ; pourtant, aucune généralisation notable n’est constatée. Des tentatives “pionnières” sont effectuées par des chercheurs, des enseignants et des médiateurs, des formations professionnelles sont mises en place jusque dans les entreprises, mais elles ne s’étendent pas (3). Elles restent le fait de personnes militantes, seules ou regroupées en associations ou réseaux.

Les présentations du WEEC3 ont permis de souligner et d’analyser le rôle de l'éducation, de la formation, de l'information et de la recherche environnementale pour le développement d'une société équitable, respectueuse de la vie sur la planète, en harmonie entre les peuples et entre les êtres humains et les autres espèces vivantes. Elles ont abordé des thèmes très intéressants comme la démocratie participative, l'éducation à la citoyenneté, la gestion équitable et durable des ressources naturelles, le tourisme écologique,… à travers la recherche et les réalisations dans les différents pays.
Toutefois, tout paraît un perpétuel recommencement quand on situe ces présentations par rapport aux travaux proposés lors des symposiums précédents... L’EE et aujourd’hui l’EDD n’ont pas encore cette « mémoire » collective qui permet d’aller « plus loin » !..
Un effort de recensions et d’évaluation est à mettre en place, car ces activités et ces recherches demandent à être mutualisées. Des symposiums comme le WEEC sont une possibilité à réitérer plus largement ou plutôt à se démultiplier sur le plan local. Ils devraient servir de « repères » pour ne pas éternellement perpétuer les mêmes essais et les mêmes erreurs, sans qu’il ne soit tenu compte des études et des rencontres précédentes.

De plus, l’impact limité des opérations effectuées conduit à s’interroger sur les contenus et les stratégies envisagées. Les travaux présentés au WEEC 3appellent de nouvelles études ou des réflexions supplémentaires sur trois aspects spécifiques et complémentaires :
1. l’approfondissement des caractéristiques respectives d'une EE et d’une EDD sur le plan des stratégies éducatives et médiatiques,
2. la prise en compte des nouvelles idées sur l’apprendre.
3. la clarification des paradigmes en cours et leurs transformations.

Bien maîtriser les caractéristiques d'une EE et d’une EDD

Actuellement, sur le plan des stratégies éducatives ou médiatiques envisagées, on dénombre essentiellement :
- des approches sensualistes, d’une part,
- de résolution de problèmes d’autre part.
Les discussions du WEEC 3 montrent qu’il importerait que la définition de nouvelles pratiques ou activités prenne en compte la relation Homme-Environnement ou Homme-Développement durable dans ses différentes dimensions :
- émotionnelle,
- cognitive,
- créative,
- pragmatique,
- éthique.
L’éducation telle qu’elle est le plus souvent pratiquée, trop abstraite et trop parcellisée, n’engage pas à affronter la complexité de l’E ou du DD. Elle ne crée pas le goût ou l’imagination pour la recherche d’alternatives de gestion, elle n’incite pas à la création de nouvelles attitudes favorables à l’E.
Une EE ou une EDD pertinente ne devrait donc plus se borner à diffuser des connaissances, ou se cantonner à n’être qu’une approche sensorielle. De même, l’approche orientée vers la recherche de solutions aux problèmes concrets qui affectent l’Environnement est une première option. Mise au point par les recherches didactiques des années 80, une telle approche vise à permettre aux élèves :
- de prendre conscience des situations qui posent problème dans leur environnement proche (une pollution ou une nuisance spécifique, une question de gestion d’espace ou de ressources) ou dans la biosphère en général (surpopulation, désertification, déforestation),
- d’en élucider les causes (ou du moins le champ des éléments principaux qui sont à l’origine) et
- de déterminer les moyens ou les démarches propres à tenter de les résoudre.
Toutefois après plus de 20 ans d’expérimentation, elle se révèle trop limitée et ses apports fort réducteurs. L’EE et l’EDD devrait s’engager plutôt vers une approche de clarification de situations-problèmes conduisant directement vers l’action et le changement. Pour atteindre de tels objectifs sur le plan pratique avec quelques chances de succès, une série de phases successives apparaissent souhaitables :
1. identifier les problèmes dans une situation qui peut paraître « normale » avec nos « lunettes abituelles»,
2. analyser les causes, leurs interrelations et les hiérarchiser,
3. rechercher des solutions alternatives,
4. proposer des actions,
5. penser le changement
Chacune des ses phases n’est en aucune manière incluse dans un dispositif linéaire ; à chaque étape, il s’agit d’envisager un processus de régulation avec des rétroactions.

- Identifier les problèmes doit être l’oeuvre de l’apprenant et non pas du maître (!). Dans cette phase, l’apprenant doit être amené à développer de nombreuses capacités d’investigation (démarche expérimentale, méthode d’enquête, maîtrise de l’information). Il doit être conduit à situer ses propres préoccupations et à clarifier ses propres valeurs face à des problèmes qui le concernent directement .

- Analyser les causes, leurs interrelations et les hiérarchiser oblige à pratiquer une approche pédagogique prenant comme point de départ de multiples composantes : aspects biologiques, sociologiques, géographiques, économiques, etc.. Une Education pour l’Environnement devra être critique pour favoriser une analyse fine des multiples causes possibles intervenant dans une situation et envisager toutes leurs interactions. L’apprenant devra être également mis en situation de comprendre le fonctionnement des multiples rouages, de hiérarchiser les priorités.

- Rechercher des solutions alternatives complètes et enrichir la phase d’analyse critique. Cette troisième étape doit permettre de dépasser la simple prise de conscience. Elle doit conduire à imaginer d’autres possibles et à les décrire en termes d’actions ou de modes de vie à court et à long terme. La créativité doit être constamment présente dans ce processus.

- Proposer des actions pour tenter de mettre en oeuvre les solutions alternatives prolonge l’ensemble. Il s’agit de faire participer l’apprenant à une définition collective des stratégies et des actions possibles ou souhaitables.
Ce peut être des actions d’informations par rapport au problème dans un premier temps. Ce peut être également des actions concrètes d’aménagement sur le terrain ou d’intervention sur le problème étudié.
Cette dernière phase est essentielle mais très délicate car il s’agit toujours de faire accepter d’autres solutions par la communauté. L’apprenant devra déterminer le plus souvent les résistances aux changements, les multiples intérêts en jeu, d’une part, le sens de l’innovation nécessaire, l’intensité et la durée du changement, les supports indispensables d’autre part. Pour cela, il devra apprendre à informer, à faire comprendre et argumenter son point de vue, il devra tenir compte de la dimension économique de tout projet (coût de l’action ou surcoût des solutions choisies).


Les phases d’une éducation pour l’environnement (5)

Des approches transdisciplinaires sont toujours favorables. Mais encore s’agit-il de les penser en fonction des ressources, des possibilités et de la culture de l’établissement scolaire ou de l’association. Les difficultés rencontrées dans les pratiques effectuées sont de tout ordre :
- difficultés d’organisation au niveau des emplois du temps et de la gestion des lieux d’enseignements ;
- difficultés dans le domaine de la concertation nécessaire à tout travail en interdisciplinarité par manque de formation des personnels ;
- difficultés d’ordre matériel dans le domaine de l’informatique (disponibilité et quantité) et la nécessité de personnes ressources ;
- difficultés d’accès aux lieux et aux banques de données ou plus directement manque de ressources bibliographiques et documentaires.
Différentes formules semblent convenir sur un plan optimal :
1. Pluridisciplinarité ou reformulation des contenus disciplinaires. Une révision des contenus des différentes disciplines est envisagée pour se centrer sur un thème commun.
2. Interdisciplinarité ou convergence disciplinaire. Une complémentarité entre les matières scolaires est établie ; des “ponts” sont jetés entre elles :
- coordination des activités, soit sur le plan des programmes, soit sur le plan de la complémentarité des approches :
- un thème commencé dans une discipline est repris dans une autre discipline.
- certaines matières peuvent jouer un rôle instrumental.
3. Transdisciplinarité du projet
Les diverses matières scolaires se mettent au service d’un "projet" commun. Des spécialistes extérieurs et des savoirs non-scolaires peuvent intervenir.

Convergence disciplinaire

Concertation
> constitution d’une équipe de professeurs avec un temps de concertation. Chaque cours se déroule séparément mais convergence discutée :
- au préalable : les objectifs de l'étude et les thèmes porteurs
- au final : bilan
- en continu :
- coordonner les matières (contenu, méthodologie, techniques, etc.),
- coopérer sur un renseignement, un complément, une technique ignorés.

Discipline pilote
> un professeur chef d'orchestre.
L’étude se fait dans une discipline. S’y déroulent :
- la phase de motivation et de clarification du problème,
- les phases de mise en commun et d’évaluation.
Les autres disciplines interviennent à la demande et accordent une partie de leur temps pour traiter les problèmes qui se posent dans la discipline pilote (apports méthodologique, technique, épistémologique,..)

Coanimation
> deux (ou plusieurs) enseignants interviennent sur la même classe, en même temps ou successivement :
- un sujet est abordé dans une discipline puis poursuivi dans une autre,
- un professeur joue le rôle d'animateur pour faire avancer l'étude et l’autre, celui du spécialiste pour répondre aux demandes spécifiques des élèves...

Transdisciplinarité

Formule Atelier
> mise en place d’un projet collectif puis répartition en sous-projets par classes-atelier :
- matin : avancement du projet transversal
chaque atelier est choisi par les élèves et est animé par un ou plusieurs professeurs-animateur.
- après-midi : apports divers dans les disciplines habituelles.

Formule Séminaire
> mise en place d’un projet collectif puis répartition en sous-projets par séminaires de recherche
- chaque séminaire est choisi par les étudiants sur une période donnée (une semaine à un mois) pour un travail spécifique sur un problème donné.
- des bases de données, des documents sont mis à disposition ;
- les enseignants interviennent à la demande comme personne-ressource ;
- un intranet sur l’avancement des travaux est mis en place ;
- une présentation collective (ensemble des étudiants et des enseignants) est prévue à différents stades d’avancement.

Formule Studiolo
> mise à disposition d’espaces et de professeurs
importance du CDI, du travail en réseau,
Organisation du temps différenciée


Pratiques transversales possibles


Prise en compte des nouvelles idées sur l’apprendre

Dans l’EE et l’EDD, on repère trois grandes traditions. De façon implicite, elles déterminent fortement les méthodes pédagogiques ou médiatiques. La première suppose qu’apprendre est une simple mécanique d’enregistrement. Effectuée par un cerveau “vierge” et toujours disponible, l’acquisition d’une sensibilité, d’un comportement ou d’un savoir est le résultat direct d’une transmission. C’est la présentation frontale de plus en plus souvent illustrée ou l’exposition faite de panneaux et de dioramas… Certaines méthodes dites « actives » sont également de ce type, on a affaire à un frontal indirect (visionnement d’un film, réalisation d’une expérience selon un mode opératoire distribué comme une recette de cuisine, etc.). L’apprenant s’active mais sous commandes.
La deuxième tradition repose sur un entraînement. On conçoit des situations accompagnées d’un questionnement susceptible de réponses immédiates. L’apprentissage est favorisé par des “récompenses” (renforcements positifs) ou des “remédiations” (renforcements négatifs). A travers un tel conditionnement, l’individu est supposé adopter le comportement ou le savoir adéquat. Nombre de didacticiels d’EE sont fabriqués sur ce système.
La troisième tradition est la pédagogie dite “de la construction”. Elle part des besoins spontanés et des intérêts “naturels” des individus. Elle prône leur libre expression, leur créativité et leur savoir-être. Elle met en avant la découverte autonome, le conflit cognitif ou encore l’importance des tâtonnements dans l’acte d’apprendre. L’individu ne reçoit plus des données brutes, il les sélectionne et les assimile. La construction du savoir s’opère par une grande place laissée à l’expression et à l’action.
Les évaluations entreprises montrent que chacune de ces positions présente des possibilités, mais surtout de grandes limites. Avec recul, on constate qu’il n’existe aucune panacée pédagogique ou médiatique en matière d’EE ou d’EDD. En effet, « apprendre l’E ou le DD » s’avère être un processus à la fois complexe et paradoxal -il s'agit de transformer « dans la tête » d’un apprenant des réseaux multiples et régulés d'informations-, le plus souvent conflictuels. L’apprenant apprend selon sa personnalité et ses désirs, en s'appuyant sur ce qu’il connaît déjà. Dans le même temps, il apprend en "bousculant" les conceptions qu’il mobilise dans la tête.
Pour élaborer une connaissance ou modifier son comportement, il lui faudrait pouvoir d'abord déconstruire ses idées fausses ou ses habitudes. Mais chaque apprenant ne peut le faire en direct. Il lui faut s'appuyer sur ce qu'il croit ou croit savoir, fait ou croire savoir faire pour aller... à son encontre ! Or, si chaque apprenant doit faire ce cheminement de manière personnelle, car personne ne peut le faire à sa place, il ne peut le faire seul. L'enseignant, le médiateur,... doit créer ou mettre en scène les interactions indispensables. Un environnement didactique particulier qualifié « d'allostérique » s’avère propice (6).

Exemple d’environnement allostérique

Au niveau des établissements scolaires, des clubs ou des associations, cela implique de repenser trois paramètres en priorité :
- la formation
- la mise à disposition de ressources et d’outils pédagogiques
- l’échange et l’accompagnement des acteurs.

La formation est un des éléments clé pour le développement de l’EE ou de l’EDD. Elle doit concerner tous les niveaux d’intervention : celui des éducateurs professionnels (enseignants, animateurs…), mais aussi toutes les personnes relais en milieu formel ou informel. Elle doit s'adresser également aux décideurs de l’administration, des collectivités et des associations.
De nouvelles pratiques de formation pour les enseignants et les médiateurs sont à inventer, d’autres outils et de ressources sont à mettre à disposition. Quelques conditions optimales peuvent être avancées :
- nécessité d'une « mise en apprendre » conduisant à un contrat (convention) qui permet une palette élargie de postures possibles pour les différents acteurs,
- organisation d'un suivi et d'un traitement simultané du projet et des connaissances en jeu,
- mobilisation des différents types de savoirs des élèves et leur confrontation avec une variété de sources de savoirs (scolaires, pré-professionnels et d'expérience) et
- la mise en place d'une régulation de la formation et des projets.
Toutefois, en premier, il s'agit de développer une « culture de l'apprendre ». Pour une société en pleine mutation, forcée d'innover en permanence, c’est une nécessité vitale de proposer des actions de formations transversales, croisant les publics et les disciplines, favorisant les échanges de ressources et de pratiques entre les participants, combinant les apports sur des notions scientifiques et techniques avec un travail sur les méthodes pédagogiques.

La mise à disposition de ressources et d’outils pédagogiques. Des outils et des ressources éducatifs sont à privilégier, notamment ceux qui sont de véritables supports permettant de confronter des points de vue par des approches systémiques et plurielles et conduisant à des actions concrètes.
Les ressources qui ont une valeur éducative ne sont pas toujours bien identifiées, elles sont souvent dispersées. Il conviendrait de les évaluer et de les adapter aux conceptions des publics. Par ailleurs, il s’agit de rendre leur accès plus facile en développant leur mise à disposition dans les lieux existants ou à créer : centres de ressources spécialisés, centres d’information, centre de documentation des établissement, bibliothèques, Des outils d’inventaire et de mise à disposition d’informations compatibles entre eux devront être recherchés.

L’échange et l’accompagnement des acteurs. Des réseaux d’échanges commencent à exister, il convient de mieux les identifier, de les reconnaître, de les soutenir ou de les renforcer grâce à des contractualisations, associant tous les acteurs institutionnels et éducatifs, publics et associatifs. C’est en s’appuyant sur eux que l’on peut, mieux que par injonction ministérielle, développer des dispositifs d’accompagnement.

Explicitation des paradigmes et leurs transformations
Les situations d'E ou de DD sont des situations très complexes. Pour les aborder, elles nécessitent un changement de mentalités et celui-ci passe par :
- une remise en cause de nos façons de raisonner, notamment celles qui restent sous-jacents et
- une clarification des valeurs
.
La remise en cause de nos façons de raisonner devient une urgence. Nos actions, notre comportement, nos choix résultent de nos idées, certes, mais surtout de nos façons de raisonner et de produire du sens. Certains de ces inférences sont explicites et dépendent de règles dites « logiques » reconnues. Toutefois, la plupart restent totalement implicites, automatiques et personnels. Chaque personne crée ses propres liens, accorde certaines connotations à des mots particuliers ou reprend inconsciemment les façons de penser d'une époque, d'un lieu, d'une société.
On pourrait les considérer comme des réflexes de pensée, des sortes de truismes. Ces mécanismes qui sous-tendent nos comportements ou nos décisions font référence à une logique très intime. En d'autres termes, ils s'imposent à nous de la façon la plus évidente, notamment à travers nos vécus culturels et sociaux ; ce qui empêche de les interroger.
Certaines de ces façons de produire du sens ne nous sont pas propres. On les retrouve dans diverses civilisations depuis des millénaires, comme c'est le cas pour nos peurs ou notre rapport au risque. Nous ne faisons que les actualiser pour prendre en compte le contexte, sans les décoder ou les démonter... D'autres sont relativement plus récents, ils se sont établis progressivement dans notre système de pensée à partir des influences culturelles dans lesquelles nous avons baigné. D'autres encore sont totalement personnels. Nous les avons élaboré de manière individuelle pour gérer « au mieux » les situations rencontrées.
Ces « paradigmes », comme on les nomme habituellement, sont donc partout, sous-jacents à notre pensée. Tous sont à expliciter et tester dans leurs implications voire à transformer…

La clarification des valeurs. Au moment où l’humanité prend mieux conscience de sa fragilité d’une part et de l’interpénétration des problèmes d’autre part, il apparaît essentiel de prendre également conscience des valeurs qui sous-tendent les choix politiques et économiques en matière d’environnement, de gestion des ressources, et donc de modes de vie:
1. Pourquoi a-t-on fait ce choix ?
2. Qui a pris la décision, en fonction de quels critères ?
3. Quel a été le mécanisme de décision ?
4. A-t-on évalué les retombées à court terme, à long terme ?
5. En définitive, le choix a été fait en fonction de quels systèmes de valeurs ?
Tous ces points sont à clarifier : les choix qui dictent les décisions, mais aussi le système de valeurs qui les sous-tend. Toutefois l’EE ou l’EDD ne s’inscrit pas dans une simple transmission d'un système de valeurs particulier. Bien au contraire, elle devrait permettre de progresser dans la recherche des valeurs les mieux adaptées à une survie de l’humanité et à une meilleure gestion des ressources, surtout sur le long terme.
L’action éducative sur ce plan peut s’envisager dans un mécanisme d’investigation qui conduit d’abord à une explicitation des valeurs. Une telle éducation devrait donc avant tout permettre à la personne de se révéler à elle-même les éléments de son propre système de valeur (pas toujours cohérent !) et d’en identifier les principales composantes.
L’éducation aux valeurs pose de délicats problèmes éducatifs. Quel doit être alors le rôle de l’enseignant, du médiateur ? Sûrement pas un rôle d’endoctrinement. L’équipe enseignante doit être celle qui permet la découverte des valeurs et de leurs rôles. Pour cela, l'apprenant doit être, par la réflexion, conduit à expliciter et à rechercher les raisons de ses choix ou des choix des divers composants d’une société. Il est celui qui permet à chacun de confronter et de préciser ses propres choix. Enfin, il peut être encore celui qui les accompagne pour découvrir d'autres systèmes de valeurs dans d’autres cultures ou qui en fait émerger de nouvelles, même utopiques !
Bien sûr, pour que ces activités soient possibles, il est nécessaire que l’équipe enseignante ait su créer un climat de confiance, de respect mutuel et de discussions régulées. Il est notamment nécessaire que toutes les opinions s’expriment, même celles qui sont minoritaires ou dérangeantes pour l’ordre établi. L’important est que les valeurs ne s’imposent pas par obligation, par mode et encore moins par la force, mais qu’on puisse les discuter jusque dans leurs conséquences ultimes.
Peut-être faut-il apprendre en parallèle une certaine patience et beaucoup de modestie dans les objectifs ?;. Les transformations réussies ne sont jamais immédiates. Elles se mettent en place très progressivement.

En l’état actuel

Beaucoup reste à faire ! Le succès immense de participation au WEEC 3 ne doit pas cacher les limites actuelles de l’EE et de l’EDD. Pour continuer à avancer, le développement de liens plus forts entre la recherche et les acteurs éducatifs reste toujours d’actualité, que ce soit :
- dans le domaine de la connaissance (médiation et mise à disposition de l’information sur l’état d’avancement des recherches) ou
- dans celui de la construction didactique (utilisation de différentes démarches, projets éducatifs, suivi et évaluation, recherche-action…).
Dans un contexte de fort impact des médias sur les jeunes (mais aussi les autres publics), il est essentiel que des activités éducatives élaborées leur soient proposées par des éducateurs ou des médiateurs compétents et formés. Cette formation est à mettre en place avec l’accompagnement de recherche spécifique en EE ou EDD.

L’éducation pour un « avenir durable constitue donc un défi considérable. Mais cette mise en place ne doit pas faire écran à une réflexion plus en profondeur qu’on pourrait qualifiée d’épistémologique. Nos actions actuelles en matière d’EE ou d’EDD sont-elles suffisamment pensées ? Ne sont-elles pas trop empreintes de naïvetés ? Certains « beaux gestes » environnementaux comme le recyclage de l’aluminium n’ont-ils pas entraîner plus de pollutions, simplement. parce que seule fut pensée la récupération et pas le processus de recyclage dans son ensemble ? Le fort accent mis sur le tri des ordures n’est-il pas un alibi au gaspillage de biens et de ressources? N’évite-t-il pas de poser des questions beaucoup plus fondamentales ? Notamment sur nos modes de vie que nous tardons à interpeller ? Et le développement durable ne risque-t-il de masquer une réflexion sur ce que devrait être une économie, un pouvoir, un état ou une démocratie ? Sans de telles mises à plat, pouvons-nous comprendre la complexité du monde ? Quelles sont les interconnexions entre les différents problèmes du monde et quelle conclusion pouvons-nous faire émerger pour trouver un mieux « vivre ensemble » ?
En définitive, quelle sorte de monde voulons-nous forger pour l’avenir, dans les limites des ressources nourricières et des possibilités de notre Terre ? Voilà encore d’autres questions qu’il faudrait pouvoir clarifier pour assurer le développement durable à l’échelle planétaire, mais mieux encore pour développer une nouvelle citoyenneté dans la biosphère.

Pour en savoir plus
A. Giordan et S. Souchon, Une éducation pour l'environnement, vers le développement durable, Delagrave, 2008 A. Giordan et Jacqueline Denis-Lempereur (coord.), Douze questions d'actualité sur l'environnement, Z'éditions, 1996
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