Musées et expositions
André Giordan
La muséologie en tant qu’activité de recherche et de conception reste « le parent pauvre» des conceptions des musées et des expositions d’art, de civilisation ou de sciences. Pourtant, elle est au « cœur du projet ; elle conduit en amont à concevoir le projet muséal, à organiser l'articulation dans l'espace des contenus et des objets, à penser les outils et supports de médiation, etc ; et elle introduit une dimension encore trop souvent oubliée dans ces institutions : prendre en compte réellement les publics avec leurs attentes, leurs questions et leurs structures de pensée.
André Giordan et son équipe ont contribué à l’évolution de la monstration et de médiation. Ils ont notamment œuvrer à faire progresser la lisibilité, la compréhension et notamment l’attrait de ces lieux en questionnant, en interpellant ou en concernant les divers types de visiteurs dès l’entrée du lieu.
André Giordan est intervenu comme commissaire, consultant de scénographe ou conseiller de maitre d’ouvrage dans plusieurs réalisations de musées, de lieux de sciences ou d’expositions :
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Muséum du Luxembourg,
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Microcosm, CERN,
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Cité des Enfants (Paris), Cité des sciences et de l’Industrie de Paris,
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Alimentarium de Vevey,
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Apprendre Cité des sciences et de l’Industrie de Paris,
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Rhinopolis, le Centre européen de Paléontologie,
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Méditerranée, splendide, fragile, vivante et Requins : Au delà du malentendu, Musée océanographique de Monaco),
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Exposition permanente, MUCEM
Il a été consultant sur de nombreux autres projets et avec son équipe, il a mis en place et animé nombre de “Mini Lieux de savoirs” (Coolos, MiniU, MiniLab) qui se sont tenus à l’occasion de nombre d’évènements. Il a notamment été à l’origine de la première semaine européenne de la Science et de la Nuit de la Science à Genève.
Une conception innovante : le Muséum national d’histoire naturelle du Luxembourg
Le Muséum du Luxembourg était un Museum classique avec des salles et des vitrines organisées en domaines et sous-domaines : Botanique, Zoologie, Géologie,... L’idée muséologique conçu par André Giordan au sein de l’équipe de scénographe Repérages (1) était de « déconstruire » cette présentation pour partir des questions potentielles de visiteurs, mieux les susciter !.. Parmi les questions repérées, 3 seulement ont été retenues, vu l’espace :
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Qui suis-je ?
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D’où je viens ?
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Où je me situe ?
La simple présentation (vitrine, panneau, expérience “presse-bouton”, ..) a été totalement abandonnée. Elle fait place à des dispositifs organisés en un environnement, c’est-à-dire en un réseau de dispositifs présentés pour interagir de façon multiple avec le visiteur.
En plus du contenu, l’autre innovation principale porté sur le statut des espaces. L’ensemble de l’exposition n’est plus envisagé sur un mode unique avec une série de salles à statut identique. Pour intervenir par rapport à des publics différents, l’exposition (rebaptisée « Interaction » pour être plus proche du projet avancé) aborde les thèmes de façon différenciée. Des espaces à vocation spécialisée sont élaborés. Trois niveaux ont été préparés ; ils se nomment :
- espace de concernation,
- espace de compréhension,
- Espace de "pour en savoir plus".
Le niveau concertation interpelle le visiteur dit “de base”. Son but premier est de l’éveiller au thème traité, de le questionner et en même temps de le perturber par rapport à ses certitudes premières. Les vitrines de cet espace ont fait place à des éléments multiples conçus de manière à interpeller le visiteur-apprenant. Ils ont pour vocation de provoquer une dissonance avec ses idées, ses façons de raisonner ou de l’aider à produire du sens.
Dispositif de concernation sur
Qui suis-je ?
Ces dispositifs peuvent même le provoquer. Tout est question d’équilibre cependant : une perturbation trop grande ou trop brutale pourrait le bloquer. Dans le même temps, l’ambiance de la salle, son contenu, ses arrangements tentent de lui donner envie de rencontrer une démarche, type démarche de recherche « pour comprendre ». Généralement sa traduction muséographique est de type “ sas d’entrée” pour provoquer une rupture. Le visiteur averti y rencontre également des dimensions (ou des relations) inattendues. L’espace lui permet de mobiliser son savoir, de percevoir les limites ou de déceler de nouveaux centres d’intérêt.
Le niveau compréhension fournit des outils d’investigation, des processus d’analyse et des ébauches de concepts. Il s’articule autour de plusieurs salles. Dans cette partie en apparence plus classique, plusieurs « documents muséologiques » (objets réels, photos, reconstitution,..) lui sont proposés simultanément pour l’interpeller sur ses idées (y compris ses façons de raisonner) et des “aides à penser” (arguments, schémas, modèles,..) lui sont fournis en parallèle. Ils ont été conçus en tenant compte des conceptions potentielles les plus fréquentes, présentés avec plusieurs niveaux de lecture possibles et testés au préalable avec des publics potentiels.
Les interfaces ne se limitent pas à présenter seulement le savoir établi et reconnu. Une organisation proche du laboratoire l’introduit à la démarche scientifique (la science telle qu’elle se fait). Une structure muséographique proche du laboratoire lui permet de produire (ou de réélaborer) quelques éléments du savoir en temps réel. Ces propositions sont toujours conçues pour partir des conceptions des visiteurs. Elles lui apportent cependant de la matière à penser supplémentaire. L’important est que le visiteur soit toujours concerné par les situations et qu’elles aient constamment du sens pour lui. Sur ce dernier plan, l’émotion et l’humour ne sont pas exclus des modes de présentation.
Espace Laboratoire
Où je me situe ?
Les schémas, les modèles, les maquettes proposés sont des productions muséologiques originales. Elles peuvent être totalement décalées par rapport à la référence universitaire. De plus, les redondances ne sont pas exclues, elles ont pour fonction de rassurer le visiteur.
Les interactifs sont privilégiés, ils évitent la tendance “presse-bouton”. Pour cela, ils présentent toujours des situations complexes qui nécessitent un optimum d’appréhension et de réflexion. Des activités où plusieurs visiteurs sont conduits à collaborer sont également privilégiées.
Interface sur le mimétisme
Plusieurs niveaux de lecture sont éventuellement fournis par quelques cartels. Afin d’éviter la surinformation habituelle, seul le premier est apparent. Les autres sont l’objet de fiches situées dans des tiroirs ou de cheminements dans des hypertextes.
Le niveau "savoir plus" approfondit les investigations (documentation supplémentaire, base de données, multimédia, rencontre avec un spécialiste,..). D’une part, il propose des repères (concepts structurants) pour organiser les diverses informations glanées lors de la visite. D’autre part, il situe le savoir scientifique ou technique en jeu par rapport à l’actualité, à la société et aux valeurs. Il apporte des éclairages sur l’état du domaine scientifique ou technique, sur l’histoire des idées, de l’environnement ou des activités et pratiques des chercheurs.
Ces salle sont envisagées sur le plan architectural comme une multimédiathèque. Pour le visiteur de base, cet espace permet de consulter des documents écrits ou multimédias qu’il pourra reprendre calmement ultérieurement chez lui. Elle peut même l’encourager à revoir certains interfaces à la suite ou mieux lors d’une autre visite.
Dans une ambiance studieuse, elle permet d’atteindre par étapes, pour les visiteurs avertis qui le souhaitent, le niveau des savoirs le plus actuel (utilisation de l’hypertexte et des réseaux informatisés de savoirs). Elle mobilise également sur des savoirs ou des techniques abordés lors de la visite.
Dans les musées classiques, cet espace peut être organisé autour d’une réserve visitable (herbier, faunes, collections de fossiles et de roches, collections d’objets suivant les thèmes, ne relevant pas des pièces de référence). Lieu de consultation spécialisée et salle de démonstration, elle permet des déterminations, des mises en relation, des investigations spécialisées ainsi que des activités d’animation autour de spécialistes. Des livres spécialisés ainsi que des bases de données type WWW (World Wide Web) et d’images gérées au travers de réseaux facilitent également des approfondissements (1).
Exemple :
Espace où je me situe ?
- La première salle dite de concernation interpelle le visiteur sur quelques paysages caractéristiques à travers des endroits qu’il a l’habitude de rencontrer près de chez lui. Elle comporte trois grands domaines. Chacun porte sur un ensemble de lieux homogènes : les forêts, les milieux ouverts (zones humides et zones sèches et zones agricoles), les paysages urbanisés et industrialisés (villes et villages).
Chaque type de paysage est décliné d’abord dans un écolorama. Celui-ci est constitué par une immense vitrine de forme trapézoïdale. Sur l’une de ces parois, un film de sensibilisation à l’écologie d’un type de lieu est projeté. En son sein, des animaux naturalisés et végétaux artificiels caractéristiques de la flore et de la faune locale sont disposés ainsi que des roches, des troncs, des traces, etc. D’autres êtres vivants naturalisés, situés en dehors de la vitrine, complètent la présentation d’un paysage. Le scénario du film questionne le visiteur-apprenant sur le milieu présenté. Les objets et les êtres vivants sont choisis et disposés en fonction de leur potentialité à suggérer des questions. En regard, des vitrines plates mettent en valeur de petits objets ou des boîtes de petits animaux caractéristiques. Des éléments pour toucher, sentir sont à disposition du visiteur ainsi que des niches d’écoute.
- La seconde salle compréhension explicite le message. Au centre, des lieux d’observation permettent des investigations sur :
- le sol (microzoo et microfaune),
- le sous-sol (roches), l’eau (vase et plancton) et
- des petits êtres vivants caractéristiques.
Sur le mur du fond, deux grands aquariums reconstituent deux types de milieux aqueux (eau courante et eau stagnante). A l’entrée, un mur “météo” superpose carte climatique et carte biogéographique. A sa gauche, un dispositif vidéo fournit en temps réel une carte météorologique de l’Europe ainsi que des prévisions locales à cinq jours.
De part et d’autre de la salle, huit zones constituées chacune par un espace vitrine et un espace consultation approfondissent un ensemble type d’interactions. Par exemple, sont mis en évidence à travers des petits aquariums, terrariums ou paludariums, des jeux interactifs, des observations et quelques collections :
- les interrelations animaux-hommes et plantes-hommes à travers des espaces “animaux domesticoles” et “végétation dans la ville”,
- les interactions plantes-animaux à travers “la pollinisation”, la “dissémination”,
- les interactions plante-sol à partir des “roches et des biotopes” ou encore
- les interactions animales et divers autres facteurs à partir d’espaces “grenouille dans son milieu” et “mimétismes”.
Des fiches disposées dans des tiroirs complètent l’information.
- La troisième salle pour en savoir plus affine les particularités du Luxembourg. Au centre, représenté suivant l’axe Nord-Sud est disposée une carte géologique. Composée à partir des principales roches, elle suggère le relief et les principaux repères morphologiques.
Les quatre principales régions sont matérialisées et illustrées par des objets, outils, productions. Aux quatre angles, quatre petits moniteurs de télévision donnent un aperçu de la diversité et de la richesse des lieux. Ces postes de consultation sont installés pour interroger la même base de donnée. Cette dernière constituée par régions, villes et villages présentent des données statistiques ainsi que des informations démographiques, socioprofessionnelles et écologiques remarquables.
A l’extérieur, une serre jardin ouverte en toiture offre une diversité de plantes de la région (plantes anciennes, plantes décoratives, plantes comestibles, plantes médicinales, etc.) ainsi que des associations végétales (milieux secs, milieux humides, etc.). Le principe des poteaux permet d’offrir des supports pour des plantations aérienne ou grimpante. Quelques animaux vertébrés (lézards, oiseaux, petits mammifères) et invertébrés (papillons, coléoptères, etc.) y sont présentés vivants. Au sol, une brève tranchée et des éléments de carottage décrivent le sol et le sous-sol.
En prolongement de la salle compréhension, un abri météo-écologique fournit en direct les divers paramètres pertinents du lieu :
- météo : température, luminosité, pluviosité, humidité, pression atmosphérique,
- écologie : nitrates, phosphates, solvants chlorés, herbicides et métaux lourds (Pb, cadmium et mercure), radioéléments éventuels sur l’eau de l’Alzette, CO, CO2, SO2, H2 S, NO et NO2, O3, hydrocarbures, fumées et suies, éventuellement Pb et radioéléments de l’air ainsi que le pH des précipitations.
Des capteurs sont également disposés dans l’Alzette. Ces paramètres ainsi que d’autres fournis par les divers services luxembourgeois sont proposés en direct.
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Programme (extraits) salles Où je me situe ?
Projet de Musée National des Sciences Naturelles du Luxembourg
Agence Repérages, André Giordan
(1) Le projet était piloté par les conservateurs du Musée coordonnés par l’équipe d’architectes Repérages (Adeline Rispal, Louis Tournoux). Ces derniers ont réalisé la scénographie, suivie par Louis Tournoux. Le concept et les innovations muséologiques ont été avancés par André Giordan, engagé comme consultant par Repérages, en interaction avec les scénographes.
Des espaces différenciés
A travers toujours ce même processus, d’autres conceptions furent tentées dans d’autres lieux. Pour une exposition Méditerranée, splendide, fragile, vivante où il s’agissait d’informer les visiteurs sur la biodiversité menacée de cette mer, quatre problèmes furent mis en avant et traités :
- la disparition du thon rouge,
- la prolifération des méduses,
- l’acidification de la mer et
- les espèces venues d’ailleurs.
Cette fois, l’espace était découpé en 3 parties intitulées :
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« interpellation,
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compréhension et
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engagement ».
Le maître d’ouvrage était le Musée océanographique lui-même, dirigé par Robert Calcagno et Nadia Ounaïs, le commissaire invité était André Giordan et le scénographe Renaud Piérard.
Dans ce lieu de sciences, l’interpellation du visiteur a souhaité « jouer » non pas sur la cognition, mais sur l’émotion. Il avait été fait appel à un artiste de renommée internationale, Huang Yong Ping, qui, à travers une immense maquette mi-pieuvre, mi-seiche, créait surprise et émerveillement, pour susciter l’attention sur la question de la biodiversité de la mer Méditerranée et notamment, sur ses diverses atteintes : pollutions, urbanisation galopante,..,. Accueillant le visiteur, cet animal hybride impressionnant - son nom : “Wu zei” (??) - occupait de ses 25 mètres d’envergure et de ses 8 tentacules tout l’espace.
Espace interpellation,
Wu zei
L’espace « compréhension » se répartissait sur quatre « îlots » pour poser quatre des multiples problèmes de la biodiversité en Méditerranée. Par quelques objets exposés sobrement, chaque îlot soulevait une question spécifique et fournissait des éléments d’éclairage sur les enjeux et les réponses possibles.
Le visiteur pouvait compléter son approche de la question, s’il le souhaitait, par :
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un audiovisuel illustrant un aspect sensible de la question traitée,
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un commentaire très court d’un scientifique sur la question,
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quelques cartels allant à l’essentiel ou permettant de situer chaque objet.
Espace compréhension, ilot prolifération des méduses
Espace compréhension, ilot disparition du thon rouge
Ces quatre îlots étaient entourés par une vaste « farandole de la biodiversité », pour suggérer la multiplicité et la diversité des espèces. Elle était réalisée dans les anciennes vitrines du Musée, avec nombre d’animaux naturalisés ou en bocal appartenant à la Collection, non pas rangés par classe ou écosystèmes, mais de façon esthétique, pour accentuer cette diversité de formes et de modes de vie.
Enfin, un espace « engagement » valorisait les actions des différentes associations, entreprises ou institutions, y compris celles de l’Institut océanographique de Monaco, en faveur de la Méditerranée. Dans la même dynamique, il invitait chaque visiteur à s’engager lui-même par rapport à des prises de position qu’il peut faire à son niveau.
Une des interfaces de l’espace engagements
Ce choix muséologique était associé à d’autres approches en direction du public :
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deux niveaux de lecture et
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un site et un livre pour ceux qui veulent approfondir les questions en jeu. De plus, ces derniers le conseillaient sur les « gestes à faire », s’il est baigneur, pêcheur, caboteur ou simplement s’il souhaite manger du poisson.
Couverture de la fiche visiteur : Le gourmet responsable
D’autres tentatives d’innovations muséales ont encore été tentées et éprouvées. D’autres enseignements sont à tirer ; par exemple, pour l’exposition permanente du MUCEM, sur la diversité culturelle et l’unicité de l’espace Méditerranéen, les 4 espaces étaient découpés à l’origine ainsi : « interpeller, décoder, mettre en perspective. La scénographie était assurée par le Studio Adeline Rispal, André Giordan étant consultant de l’agence.
Mucem, Espace Agriculture, Studio Adeline Rispal |
Mucem, Espace Monothéïsme, Studio Adeline Rispal
L’exposition Requins : Au delà du malentendu du Musée océanographique de Monaco dont le projet est de dédramatiser les requins comporte les espaces suivants :
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« Se familiariser avec les requins,
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mobiliser les sens des visiteurs et leurs émotions avant de faire appel à leur raison,
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s’engager pour les préserver et… cohabiter ». André Giordan était consultant du maître d’ouvrage, le musée océanographique de Monaco ; la scénographie étant assurée par Renaud Piérard.
Pour familiariser avec les requins, un immense bac permet de toucher deux espèces, un étonnant aquarium virtuel fournit nombre de données sur leur physiologie et pour éviter de trop nombreux panneaux, les personnes qui veulent « en savoir plus » ont des QR (4) à leur disposition.
Musée océanographique de Monaco, Bassin caresses
Musée océanographique de Monaco, Mobiliser les sens des visiteurs
(3) Véritable agitateur d’idées, Huang Yong Ping est connu sur le plan international. Son travail artistique consiste en une méditation sur le destin de notre société et de nos cultures globalisées.
(4) QR (abréviation de Quick Response) est un graphisme qui peut être décodé rapidement après avoir été lu par un Smartphone dans une exposition. Son avantage est de pouvoir déclencher facilement des actions comme :
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regarder une vidéo en ligne ou un contenu multimédia,
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naviguer vers un site internet, visiter un site web
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montrer un point géographique sur Google Maps ou Bing Maps ;
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afficher un texte ou rédiger un texte libre (sa version actuelle permet d'inclure un texte d'environ 500 mots).
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Un autre processus de conception
Sur le plan scénographique, les formes traditionnelles restent privilégiées, y compris dans les expositions de prestige les plus récentes comme le Monde Islamique du Louvre, l’exposition Dali au centre Pompidou, Exhibiting Fluxus au MoMa,..,. Seuls la scénographie et le graphisme ont surtout évolué ces dernières années ; dans le même temps le numérique à travers les installations numériques et les QR peine à prendre place.
Dans ce contexte, les évaluations montrent que le visiteur n’a pas la plupart du temps d’accroche pour entrer dans le propos. En sciences, il se trouve confronté à des questions qu’il ne se pose pas. En arts, il ne possède pas les codes de lecture s’il n’a pas fait un master éponyme. Dans les deux cas, le décalage demeure immense entre le curator, le conservateur, le scientifique, imprégné chacun de son message et de ses objets, et le visiteur avec ses préoccupations, ses attentes et ses conceptions autres. Cet état du domaine a conduit à :
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(re)poser un certain nombre de questions déjà traitées par la muséologie institutionnelle : « au fait… le public, pourquoi est-il là ? » ; et
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envisager d’investiguer de nouvelles questions : La Collection d’accord, mais… se suffit-elle à elle-même pour permettre une délectation ou a contrario faut-il « faire passer » un « message » ?.. Si oui… quel(s) message(s) envisagés ? Pour quels publics ?
- des repères ? des connaissances ?..
- un simple questionnement ?..
- une sensibilisation ?..
- une démarche ?..
- un regard sur… lui, sur un problème à traiter ? sur son environnement, sa société ? … et faut-il le concerner en tant que personne ou en tant que citoyen ?
Mais au préalable pour ce visiteur, encore faudrait-il connaître :
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« qu’est ce qu’il attend de cette visite ?
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qu’est-ce qu’il connaît déjà sur le sujet/thème/domaine/problème ?
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qu’est-ce qu’il aimerait rencontrer ? connaître ? entreprendre ?, etc.. »
et comment ?
Par ailleurs :
Paramètres pour la conception d’une exposition
L’approche de cet ensemble de paramètres, leur mise en interactions a conduit à faire émerger une nouvelle stratégie muséale. En fait, il s’agit d’un nouveau processus de conception « assistée » pour concevoir autrement les espaces et la mise en savoir des objets, des textes et autres interfaces. Elle est connue désormais sous le vocable de processus de conception assistée par diagnostic/pronostic muséologique.
Cette nouvelle stratégie de conception muséale mise en place a cherché à sortir du modèle habituel, linéaire et descendant, où tout part de la seule pensée « radieuse » et incontournable du conservateur/curator/scientifique chef de projet, fier de ses objets et sûr de son message. Elle lui substitue une approche interactive et régulée, préalable ou intégrée à la scénographie, où la composante public(s) et une prise en compte des contraintes sont intégrées dans le projet dès le départ, au même titre que le contenu ou les objets :
Processus de conception muséologique
(à partir de Giordan, Guichard, 2002)
De plus, en introduisant la dimension « publics » (2) au démarrage du projet, différentes innovations ont trouvé « naturellement » leur place dans ce processus pour pallier aux carences ou obstacles constatés dans l’existant.
Pour en savoir plus :
Giordan A., 1998, « Repenser le musée à partir de comprendre et d'apprendre », in La révolution dans la muséologie des sciences, sous la direction de Bernard Schiele et Emlyn H. Koster, Ed. MultiMondes, PUF,
Giordan A., 1996, Musées & médias: Pour une culture scientifique et technique des citoyens : actes des Rencontres culturelles de Genève, Genève Georg.
Giordan A., Guichard J. et F.,
Des idées pour apprendre, Delagrave, Nlle édition 2002
1. Un temps de réflexion ou de savoir sur le savoir est encore inscrit dans l’espace.
2. Dans ce processus, le service médiation intervient également dans l’ensemble du processus. Il n’est plus introduit seulement à l’inauguration pour combler les déficits de compréhension du projet réalisé.