|
Les conceptions de l’apprenant comme tremplin
pour l’apprentissage...
André Giordan
L’enseignement ne donne pas les résultats attendus. Le "rendement didactique" -le savoir acquis par rapport au temps passé- est très faible, voire parfois nul. Un certain nombre d'"erreurs" de raisonnements ou d'idées "erronées" reviennent avec une reproductibilité déconcertante chez les élèves, même après plusieurs séquences successives d'enseignement. Pourtant, quand on observe la classe, l’ensemble du cours semble cohérent et logique. Les leçons sont globalement apprises.
Comment interpréter cela ? Les causes de ces difficultés sont sans doute multiples. Le grand nombre d’élèves, la perte d’intérêt pour le savoir enseigné, la dispersion des connaissances au travers de multiples disciplines, la diminution de l’aura de l’enseignant, les documents parfois illisibles... Toutefois la raison principale est probablement à rechercher ailleurs. L'élève apparaît trop souvent comme le “présent-absent” du système éducatif. Il est dans la classe, mais l’enseignant n’en tient presque pas compte. Il ignore le plus souvent ce qu'il sait (ou croit savoir), il ne prend pas en compte sa façon d’apprendre.
Pour remédier à cette lacune, des recherches didactiques se sont mises en place depuis une vingtaine d’années. Sur des contenus disciplinaires ou interdisciplinaires, ces études ont permis de comprendre les questions, les idées, les façons de raisonner, le cadre de références des élèves ; tous ces éléments que l’on regroupe sous le terme générique de conception.. Elles font penser les méthodes d’enseignement très différemment.
Une conception, qu’est-ce ?
Avant d'aborder un enseignement, les élèves ont déjà des idées -directement ou indirectement- sur les savoirs enseignés. C’est à travers celles-ci qu’ils essaient de comprendre les propos de l’enseignant ou qu’ils interprètent les situations proposés ou les documents fournis. Ces “conceptions” ont une certaine stabilité ; l'apprentissage d'une connaissance, l'acquisition d'une démarche de pensée en dépendent complètement. Si l'on n'en tient pas compte, ces conceptions se maintiennent et le savoir proposé glisse généralement à la surface des élèves sans même les imprégner.
Fig 1. Conceptions d’enfants (6 à 9 ans) à propos de la respiration du fœtus
Fig 2. Catégorisation des conceptions d’adultes à propos des causes de maladie
La connaissance de ces idées, de ces façons de raisonner permet à l’enseignant d’adapter l'enseignement, ou du moins de proposer une pédagogie beaucoup plus efficace. Mais, avant d'aller plus loin, il nous faut lever quelques ambiguïtés.
D’abord, s'appuyer sur les conceptions des apprenants ne veut pas dire “y rester”. Trop souvent, dans nos observations de classe, nous avons vu des maîtres faire exprimer les idées des élèves et considérant que cela suffisait, enchaîner une pédagogie frontale ou dialoguée. Pour nous, la simple expression des conceptions des élèves n'est qu'un point de départ à des activités d'enseignement. Il est hors de question d'en rester là. L'acquisition d'un savoir est à la fois l'apprentissage d'attitudes, de démarches et de quelques “grands” concepts (ou connaissances fondamentales). Y accéder n’est pas chose aisée. Il ne suffit pas de bien présenter une somme de connaissances à un élève (de lui en dire plus, de les lui montrer mieux), pour que ce dernier comprenne, mémorise et intègre spontanément. C'est l'apprenant qui, seul, peut élaborer chaque bribe de savoir. Et il ne peut le faire qu’en s'appuyant sur les seuls outils qui lui sont disponibles, c'est-à-dire ses conceptions.
Ensuite une conception, ce n’est pas ce qui émerge en classe, c’est-à-dire ce que l’élève dit, écrit ou fait. Une conception correspond à la structure de pensée sous-jacente qui est à l’origine de ce que l’élève pense, dit, écrit ou dessine.
Une conception n’est jamais gratuite, c’est le fruit de l’expérience antérieure de l’apprenant (qu’il soit enfant ou adulte). C’est à la fois sa grille de lecture, d’interprétation et de prévision de la réalité que l’individu a à traiter et sa prison intellectuelle. Il ne peut comprendre le monde qu’à travers elle. Elle renvoie à ses interrogations (ses questions). Elle prend appui sur ses raisonnements et ses interprétations (son mode opératoire), sur les autres idées qu’il manipule (son cadre de références), sur sa façon de s’exprimer (ses signifiants) et sur sa façon de produire du sens (son réseau sémantique). Ces divers éléments ne sont évidemment pas facilement dissociables, ils sont totalement en interaction comme l’indique le schéma ci-après.
fig 3. Caractéristiques d’une conception
où P (ou problème) est l’ensemble des questions plus ou moins explicites qui induisent ou provoquent la mise en oeuvre de la conception. Il constitue en somme le “moteur” de l'activité intellectuelle.
C (ou cadre de référence) est l’ensemble des connaissances périphériques activées par le sujet pour formuler sa conception. En d’autres termes, ce sont les autres conceptions déjà maîtrisées sur lesquelles s'appuie l'apprenant pour produire sa nouvelle conception.
O (ou opérations mentales) est l’ensemble des opérations intellectuelles ou transformations que l'apprenant maîtrise. Elles lui permettent de mettre en relation les éléments du cadre de référence, de faire des inférences et ainsi de produire et d'utiliser la conception. Les spécialistes appellent cela des invariants opératoires.
R (ou Réseau sémantique) est l’organisation interactive mise en place à partir du cadre de référence et des opérations mentales. Elle permet de donner une cohérence sémantique à l'ensemble. En d’autres termes, c’est l’émergence issue du jeu de relations établi entre tous les éléments principaux ou périphériques qui compose la conception. Ce processus produit un réseau de significations et donne un sens bien spécifique à la conception.
S (ou signifiants) est l’ensemble des signes, traces et symboles nécessaires à la production et à l'explicitation de la conception.
Changer de conception est-ce simple ?
Il apparaît nettement que l’apprendre n’est pas un processus de transmission (le maître dit, montre...). C’est surtout un processus de transformation, transformation des questions, des idées initiales, des façons de raisonner habituelles des élèves. L’enseignant cependant peut le faciliter grandement. Pour cela, il doit “faire avec” les conceptions de l’apprenant en permettant leur expression. Il peut aussi “faire contre” en tentant, après avoir fait émerger les conceptions, de convaincre les apprenants qu'ils se trompent ou que leurs conceptions sont limitées.
En fait, ces idées pédagogiques qui renvoient aux travaux de Brunner, d’Ausubel, de Piaget, de Vitgosky d’une part et de Bachelard d’autre part sont limitées. Aujourd’hui, il faut encore aller plus loin. Ces pratiques sont intéressantes mais elles conservent de grandes limites. Le modèle allostérique mis au point dans notre Laboratoire montre qu’il faut nécessairement “faire avec pour aller contre”. Ce qui n'est pas forcément contradictoire ! Expliquons-nous.
S’appuyant sur les travaux de psychologie génétique, certains pédagogues ont préconisé, après avoir fait émerger les conceptions, de les faire opposer en classe entre élèves dans un travail de groupe. C’est une excellente méthode pour démarrer toute formation. Elle favorise la motivation et le questionnement. Elle permet aux apprenants de prendre du recul et d’expliciter ce qu’ils pensent. Par ce travail sur les conceptions, les points de vue peuvent s’enrichir et évoluer. L’opposition entre apprenants peut être complétée par un travail sur la réalité par le biais de petites expériences ou d’enquêtes ; avec des élèves plus grands par une confrontation avec des documents écrits ou tout simplement des propositions du maître.
Ainsi progressivement par une série d’investigations et de structurations progressives, un savoir plus élaboré se met en place. Toutefois, en ce qui concerne la construction de concept ou l’acquisition de méthode, cette approche montre rapidement ses limites. Elle ne permet pas un dépassement conséquent des conceptions préalables ; en particulier quand l’élève se trouve en face d’obstacles très spécifiques liés aux façons de penser que l’on nomme “obstacles épistémologiques”. Tout s'explique par le fait que cette pédagogie présuppose, d’une part une continuité entre le savoir familier et les concepts, d’autre part que l'on peut passer de l'un à l'autre sans rupture ni coupure. Or considérer les conceptions seulement comme une étape vers les concepts ou affirmer “qu'apprendre c'est enrichir des conceptions”, dénote une incompréhension qu'il serait dangereux de propager.
Pour dépasser cette difficulté, d’autres pédagogues reprenant à leur compte les idées de Bachelard ont préconisé d’éliminer immédiatement les erreurs des élèves. Mais peut-on facilement évacuer une conception ? Une solution vient immédiatement à l'esprit. On “détruit” la conception initiale en fournissant la bonne réponse. Logique, semble-t-il! L'enseignant, après avoir repéré l’obstacle, essaie de le corriger en insistant particulièrement sur les difficultés mises à jour.
Nous avons tous appliqué cette méthode. Après de multiples essais suivis de tests d'évaluation, nous nous sommes aperçus que, malheureusement, c'était un leurre. Lorsqu'une erreur correspond à une façon de penser fortement enracinée, comme le sont la plupart des conceptions, et non à la simple méconnaissance d'un savoir ponctuel, une explication, aussi claire soit-elle, règle rarement le problème. Cela surprend toujours, et pourtant... Les remarques de l’enseignant paraissent en général pertinentes, cohérentes, simples et adaptées ! Malheureusement, l’apprenant les élude le plus souvent. Au mieux, il en intègre quelques bribes tout en maintenant le “noyau dur”.
Faire “avec pour aller contre”
L’enseignement n’est pas quelque chose de simple et d’évident. Et il n’existe pas une méthode valable pour tous les élèves et tous les moments. Heureusement la recherche didactique peut proposer une série d’outils pour éclairer l’enseignant dans ses choix éducatifs. Quels sont-ils ?
D’abord, il semble qu'il faille non seulement partir des conceptions, mais aussi les faire évoluer et se transformer. On ne peut éviter de s’appuyer sur les conceptions en place. C’est le seul outil à la disposition de l’élève pour décoder la situation et les messages. Dans le même temps, il faut les dépasser. Le savoir s’élabore à partir d'un remaniement profond.
Toutefois, rien de plus difficile que de vouloir “détruire” des conceptions en place ; l'enseignant mésestime la résistance des savoirs préalables. Une conception ne fonctionne jamais isolément. Celle-ci, en liaison avec une structure cohérente plus vaste -la pensée de l'apprenant- qui porte en elle sa logique et ses systèmes de signification propres, résiste même à des argumentations très élaborées. Ensuite, il ne suffit pas que l'apprenant prenne conscience que sa conception est erronée ou limitée pour accéder spontanément à un nouveau concept. L'apprentissage nécessite de nouvelles mises en relation, l’acceptation de nouveaux modèles, etc.
C’est là que le modèle d’apprentissage allostérique prend tout son intérêt. Il montre que toute appropriation procède d'une activité d'élaboration d'un apprenant confrontant les informations nouvelles et ses connaissances mobilisées, et produisant de nouvelles significations plus aptes à répondre aux interrogations qu'il se pose.
Ce processus n'est pas immédiat ; les nouveaux savoirs ne sont pas “compris” tout de suite par l'apprenant pour toutes sortes de raisons. En premier lieu, il peut lui manquer une information nécessaire. Dans d'autres cas, l'information nécessaire lui est accessible, mais l'apprenant n'est pas motivé par rapport à cette dernière ou la question qui le préoccupe est autre. L'apprenant est aussi incapable d'y accéder pour des questions de méthodologie, d'opération, de référentiel, etc. Ensuite, il lui manque les éléments propres à la gestion effective de la compréhension. Enfin dans le cas des apprentissages fondamentaux, on constate même que le savoir à acquérir ne s'inscrit pas directement dans la ligne des connaissances antérieures. Ces dernières représentent le plus souvent un obstacle à son intégration.
Une transformation radicale du réseau conceptuel est indispensable. Ce qui implique des conditions supplémentaires. Premièrement, l'apprenant doit se trouver en condition de dépasser l'édifice constitué par les savoirs familiers, notamment il doit y trouver un intérêt, c’est à dire du sens. Deuxièmement, la conception initiale ne se transforme que si l'apprenant se trouve confronté à un ensemble d'éléments convergents et redondants qui rendent cette dernière difficile à gérer. Troisièmement, l'apprenant ne peut élaborer un nouveau réseau conceptuel qu'en reliant différemment les informations engrangées. Il doit notamment s'appuyer sur des modèles organisateurs qui aident à structurer les informations autrement. Sur ces plans, le modèle allostérique décrit un système de paramètres qui sont autant de facteurs limitants ; il propose par là un environnement didactique facilitant (voir fig. 4).
Fig 4. Paramètres d’un environnement allostérique
En effet, il faut signaler à ce stade que les modèles constructivistes paraissent plutôt frustes en matière d’éducation. Apprendre regroupe un ensemble d’activités multiples, polyfonction-nelles et pluricontextualisées. Apprendre mobilise plusieurs niveaux d’organisation mentale, à première vue disparates, ainsi qu’un nombre considérable de boucles de régulation. Vouloir tout expliquer dans un même cadre théorique tient plutôt de la gageure. Et cela d’autant plus, que les différents modèles constructivistes ont été produits dans des domaines très épurés. Par exemple, dans le cas d’apprentissage des concepts scientifiques, tout ne dépend pas des structures cognitives au sens où les a définies Piaget. Des sujets qui ont atteint des niveaux d’abstraction très développés peuvent raisonner sur des contenus nouveaux à l’égal de jeunes enfants. Ce qui est en cause, ce n’est pas seulement un niveau opératoire, mais ce que nous appelons une conception globale de la situation, c’est-à-dire à la fois un type de questionnement, un cadre de références, des signifiants, des réseaux sémantiques (y compris un méta-savoir sur le contexte et sur l’apprendre), etc. Autant d’éléments qui orientent la façon de penser et d’apprendre et sur lesquels la théorie piagétienne reste muette.
De même, l’appropriation d’un savoir ne se réalise pas seulement par une abstraction “réfléchissante”. Pour des apprentissages scientifiques, cette dernière peut être quelquefois déformante, le plus souvent mutante. Un nouvel élément s’inscrit rarement dans la ligne des savoirs antérieurs. Au contraire, ceux-ci représentent fréquemment un obstacle à son intégration. Vouloir tout expliquer en termes “d’assimilation” ou “d’accomodation” tient de la gageure. Il faut envisager généralement une déconstruction simultanément à toute nouvelle construction. Le savoir en place empêche généralement toute assimilation d’information trop distante. Dans le même temps, l’accomodation se heurte au modèle mobilisé par l’apprenant. Il en résulte des interférences pernicieuses qui entravent toute nouvelle élaboration de savoir.
Pour qu’il y ait compréhension d'un modèle nouveau ou mobilisation d’un concept par l’apprenant, l'ensemble de sa structure mentale doit être transformée. Son cadre de questionnement est complètement reformulé, sa grille de références largement réélaborée. Ces mécanismes ne sont jamais immédiats, ils passent par des phases de conflits ou d’interférences. Tout est affaire d’approximation, de concernation, de confrontation, de décontextualisation, d’interconnexion, de rupture, d’alternance, d’émergence, de palier, de recul et surtout de mobilisation.
Enfin et surtout parce qu’ils sont très limités, les différents modèles constructivistes ne disent rien ou presque sur le contexte social ou culturel des apprentissages. Ils ne permettent pas d’inférer des situations ou des environnements favorisant l’acte d’apprendre. Cela est normal, ce ne sont pas leurs préoccupations initiales. Tout au plus avancent-ils l’idée de “maturation” ou de “régulation”, sans préciser les conditions de telles activités dans une pratique. D’ailleurs, Vinh Bang est très réaliste sur le sujet. Déjà en 1989, il notait avec regret qu’une “psychologie de l’élève faisait encore défaut”. En réalité, c’est toute la psychologie de l’apprendre qui reste aujourd’hui à élaborer, mais est-ce encore de la psychologie ?
Le modèle allostérique
Notre modèle, et c’est sans doute pour cela qu’il rencontre quelque succès chez les Anglo-Saxons, est donc très pragmatique. Son projet n’est pas de produire un modèle supplémentaire des processus cognitifs. Son but est de décoder, par rapport à des savoirs particuliers, les conditions qui favorisent l’apprendre. Il apparaît sous forme d’une entité de type systémique et multistratifié, où sont mis en avant les boucles d’autorégulation et les niveaux d’intégration. En effet, tout savoir maîtrisé se situe tout à la fois dans le prolongement des acquis antérieurs qui fournissent le cadre de questionnement, de référence et de signification, et dans le même temps par rupture avec eux, du moins par détour ou transformation du questionnement.
En fait, tout apprentissage réussi est un changement de conceptions ; ce qui n’est jamais un processus simple car il n’est pas neutre pour l’apprenant. On peut même dire que c’est un processus désagréable. La conception mobilisée par celui qui apprend donne une signification à celui-ci et chaque changement est perçu comme une menace. Il change le sens de nos expériences passées. La conception de l’apprenant telle que nous l’avons validée intervient dans le même temps comme un intégrateur et comme une formidable résistance à toute nouvelle information qui pourrait déséquilibrer le système d’explications en place. De plus, l’apprenant doit exercer un contrôle délibéré sur son activité et sur les processus qui la régissent, et cela à différents niveaux que nous tentons de répertorier.
Toute acquisition de connaissances procède d'activités complexes d'élaboration d'un apprenant confrontant les informations nouvelles et ses connaissances mobilisées et produisant de nouvelles significations plus aptes à répondre aux interrogations ou aux enjeux qu’il perçoit. Se constituent alors ce que nous appelons des “sites conceptuels actifs”, sorte de structure d’interaction aux rôles prépondérants dans l’organisation des informations nouvelles et dans l’élaboration du nouveau réseau conceptuel et sur lequel l’environnement didactique peut avoir prise.
Car, au delà de la description des stratégies cognitives, nos travaux sont d’abord d’ordre didactique. Ils ont pour projet de favoriser l’appropriation de savoirs à l’école et hors de l’école. Or si seul l’apprenant peut apprendre, il ne peut le faire seul. Entre l'apprenant et l'objet de la connaissance, un système d'interrelations multiples doit s'installer. Celui-ci n'est jamais spontané, la probabilité pour qu'un apprenant puisse "découvrir" l'ensemble des éléments pouvant transformer son questionnement ou favorisant les mises en réseaux est pratiquement nulle. Par contre, ces approches peuvent être largement favorisées par tout ce que nous appelons un "environnement", mis à la disposition de l'apprenant.
Par exemple, au départ de tout apprentissage, il faut pouvoir introduire une (ou plusieurs) dissonances qui perturbent le réseau cognitif que constituent les conceptions mobilisées. Cette dissonance crée une tension qui rompt ou déplace le fragile équilibre que le cerveau a réalisé. Seule cette dissonance peut faire progresser .
Dans le même temps, l’apprenant doit se trouver confronté à un certain nombre d'éléments significatifs (documentations, expérimentations, argumentations) et à un certain nombre de formalismes restreints (symbolismes, graphes, schémas ou modèles) pouvant être intégrés dans sa démarche. On peut ajouter qu'une nouvelle formulation du savoir ne se substitue à l'ancienne que si l'apprenant y trouve un intérêt et apprend à la faire fonctionner. A ces étapes également, de nouvelles confrontations à des situations adaptées, à des informations sélectionnées s’avèrent rentables.
Pour chacune d’elles, nos micro-modèles sont autant d’outils pour décoder les contraintes et prévoir les situations, les activités ou les interventions favorisant l’apprentissage.
Au travers de l’apprentissage allostérique, de nouvelles fonctions pour l’enseignant ont été ainsi corroborées. Son importance ne se situe plus dans son discours ou dans ses démonstrations a priori, l’efficience de son action se place toujours dans un contexte d’interactions avec les stratégies d’apprentissage de l’apprenant. Notamment, les régulations qu’il peut introduire dans l’acte d’apprendre : ses capacités pour concerner, pour fournir des repères, pour partager des aides à la conceptualisation ou pour donner du sens au savoir, s’avèrent premières.
Pour en savoir plus
A. GIORDAN et G. DE VECCHI, Les origines du savoir, Delachaux, 1987.
G. DE VECCHI et A. GIORDAN, L'enseignement scientifique, comment faire pour que "ça marche" ? Z'Editions, 1989.
A. GIORDAN, Y. GIRAULT et P. CLEMENT, Conceptions et connaissance, Peter Lang, 1994
Faire naître chez l'apprenant une activité élaboratrice sur un tel sujet n’est pas simple. Les élèves ont l’impression de connaître, "la plante se nourrit dans le sol" et ils sont peu motivés pour en savoir plus. Diverses situations peuvent l’interpeller avec succès : plantes sans sol, cultures hydroponiques, plantes de forêts tropicales aériennes, lentilles, misères dans verre. Il faut signaler l’importance de la maîtrise, au préalable ou en parallèle chez l’apprenant, d’un certain niveau d'attitude et de démarche. Cela facilite le questionnement et une prise de recul par rapport aux phénomènes. Chaque fois une réelle confrontation est indispensable (confrontations élève-réalité, confrontations élève-élève) pour qu'il puisse expliciter sa pensée dans le cadre de travaux de groupe. De plus, divers travaux doivent l'amener à glaner un ensemble de données nouvelles pour enrichir son expérience par rapport à la question en jeu. Ils doivent le conduire à tester sa pensée par le biais d’observations ou d’expériences (variations des divers facteurs expérimentaux : lumière, température, concentration en CO2, sel minéraux, etc.). Ils doivent l'entraîner à prendre du recul par rapport à ses évidences, le plus souvent à reformuler le problème (que veut dire se nourrir ?) ou/et à envisager d'autres relations (relation nourriture-énergie). La nécessité d'arguments divers est primordiale en la matière, l’enseignant ne doit jamais se contenter d’un seul, présenté rapidement. De plus, tous ces éléments doivent être adéquats par rapport au cadre de références de l’élève, sinon, il les élude.
Pour les élèves maîtrisant bien la démarche scientifique, l’approche peut être facilitée par des confrontations élève-informations dans le cadre d’un travail documentaire (cultures sur sols divers, interactions de facteurs, rôle des engrais, de l’humus, du fumier). Toutes ces activités de confrontations doivent convaincre l'apprenant que ses conceptions ne sont pas adéquates ou sont incomplètes par rapport au problème traité, et éventuellement que d’autres sont plus opérationnelles.
Ensuite, l'apprenant doit avoir accès à un certain formalisme en tant qu'aide à la réflexion. Ce formalisme peut prendre des formes très diverses (schématisation, modélisation). Il doit être aussi facilement manipulable pour organiser les nouvelles données ou pour produire une nouvelle structuration du savoir (en tant que points d'ancrage). L'introduction d’un modèle global peut servir de "noyau dur" pour fédérer les informations au fur et à mesure.
Ce modèle peut être à compartiment. Certains modèles partiels doivent être envisagés de façon complémentaire pour préciser chacun des point (rôle de la lumière, des chloroplastes, respiration par rapport à photosynthèse, transduction d’énergie). Chaque fois, ils devront être adaptés au cadre de compréhension de l’élève. Enfin il faut ajouter que, pour que le concept de photosynthèse soit réellement opératoire, il est nécessaire de procurer à l'apprenant des situations où il pourra mobiliser son nouveau savoir et en tester l'opérationnalité et les limites (activités de cultures, chaînes trophiques).
|
Fig. 5 : Utilisation du modèle allostérique à propos du concept de photosynthèse.
|