Education à la Santé

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Connaître son corps à l’école… pourquoi faire ?

André Giordan et Francine Pellaud
LDES université de Genève


L’enseignement du corps humain –car il est impossible de parler d’éducation- à l’école est des plus défaillants. De nombreuses inconnues persistent pour les plus jeunes après les cours. Les organes sont mal situés, les reins par exemple sont généralement placés trop bas dans la cavité abdominale, des tuyaux sont envisagés entre l'estomac et la vessie, l'estomac et le foie et la plus grande confusion règne à propos les glandes digestives. De plus, ils ne savent pas mobiliser leurs connaissances dans des situations de la vie quotidienne, comme "que devient l'eau que l'on boit ?" et « pourquoi boit-on ? ». De nombreuses évaluations effectuées en attestent.
Comment expliquer de tels dysfonctionnements ? Le peu d'intérêt porté par l'enseignement et la médiation au corps humain (et de manière générale à la santé même si dans les derniers programmes ce point est repris en compte) ainsi que l'absence de situations et d'aides didactiques optimales en sont sans doute à l'origine. Expliquons-nous.
Certes le corps humain, son anatomie et son fonctionnement sont envisagés dans tous les programmes scolaires. De même, les livres scolaires le prennent comme centre d'intérêt principal. Dans un ordre presque toujours identique, l'appareil digestif, l'appareil respiratoire, l'appareil circulatoire, etc. sont traités à la suite, mais sans lien et sans perspectives. Il en résulte que ces pratiques ne prennent sens pour l'apprenant. Au mieux, il ne fait que mémoriser du vocabulaire et quelques schémas des formes générales.
Surtout le désintérêt s'installe rapidement car l’enseignement le gave de mots et de schémas mais omet de répondre pas à ses questions ou à ses préoccupations d’enfant. Ce qui n'est pas sans conséquences néfastes par la suite en matière de prévention et de santé.

Brève histoire du corps à l’école

Pourtant, le corps de l’homme et celui de la femme ont fait l’objet d’éducation ou de rééducation à toutes les époques. Cette éducation pouvait être très directe au point de marquer irrémédiablement le corps sans passer par le cerveau ! Le corps était bandé, scarifié ou rectifié pour s’inscrire dans les normes ou les valeurs d’une société. Mais peut-on parler en la matière… d’éducation ? A la Renaissance, par exemple, le corps se doit d’être droit. Ainsi, corps droit et vertus sociales sont reliés : « Les négligences du maillot et de l’âme commencent toutes les imperfections de l’un et de l’autre » (Fortin de la Hoguette 1648). Ce redressement est obtenu d’abord par des maillots ou des corsets avec armature ; progressivement par des exercices tout aussi contraignants.
Au début du XIXème siècle, une éducation qui se veut «médicinale» est promue par les médecins hygiénistes. Elle devient « corporelle », puis «physique» quand l’armée prend le relais en injectant une série de pratiques issues des exercices militaires.

L’école s’inscrit directement dans cette longue tradition. En biologie, elle présente un corps machine, décomposé en quelques mécanismes séparés…  Les plus évidents à tout enseignant, car habituels, sont la locomotion, la digestion et la respiration dont on décrit seulement « les tuyauteries ». Rien d’étonnant que le corps humain excède et que les savoir appris soit des plus limités.
L'éducation physique et sportive a fait le pas pour s’éloigner de l’entraînement militaire et de  gymnastique médicale. Elle se veut contribuer «à l'épanouissement harmonieux du corps, de la sensibilité, de la volonté, de l'intelligence, et elle favorise la santé psychique et physique de l'élève ». En outre elle souhaite valoriser l’épanouissement, l’expression et l’autonomie. Mais dans sa pratique quotidienne, beaucoup reste à faire.

Un corps, un objet éducatif à interroger

Le corps, la santé ou encore l'amélioration de celle-ci par l'exercice physique semblent «fonctionner» ainsi dans l'école, comme un « allant de soi ». C'est cet allant de soi qu’il s’agit interroger. Est-il réellement éducatif ? A quoi correspond-t-il en définitive ? Ne pourrait-on pas envisager le corps à l’école tout à fait autrement ?..
Plusieurs directions sont à explorer… Parmi les multiples possibles, trois semblent importantes pour l’école primaire. Une première approche didactique est dans « l’apprivoisement » de son propre corps par l’enfant, même très jeune. L’enfant est souvent dans l’étrangeté par rapport à celui-ci. Une « éducation corporelle » peut rendre le corps (son corps) plus familier à travers ses sensations, ses émotions, ses désirs, ses postures ou ses comportements ? Comment les reconnaître ? Les ressentir ? Les connaître de l’intérieur ? En dépasser les tensions ? La place du plaisir lié à un rapport ludique d'échanges avec l’environnement ou avec l’autre, ses stress, ses frustrations sont d’autres accroches pour mener des activités. Comment les apprivoiser ? Les positiver ? Les exprimer ? Les partager ?
La personne se trouve le plus souvent évacuée, voire niée, dans l’enseignement actuel. Dans les cours de biologie ou d’éducation physique ou sportive, il paraît indispensable de réintroduire un corps vécu. De même, il apparaît tout aussi important de l’envisager comme «l’auteur» d’actions d’une part et porteur de convictions et de sens à travers une plus large place faite au théâtre, à la danse ou au jeu de rôle.
La personne, et elle s’appuie sur les expressions et les ressentis d’un corps, devrait avoir une place prioritaire ; pourtant elle est trop peu envisagée à l’école. De simple activités sur comment on marche, comment on se comporte face aux autres élèves permettraient de cesser de faire du corps une simple machine ou un objet marchand comme il l’est dans la publicité. L’enfant pourrait exprimer différents ressentis réels ou joués ; et par là de reconnaître un peu mieux qui il est vraiment…
Une deuxième direction serait de faire prendre conscience l’enfant de ses hautes capacités.  Un corps, « ce n’est pas rien » ! Par exemple l’élève est souvent fier de parler de leur vélo ou de leur game-boy qui peuvent faire une centaine de pièces. Un corps humain, c’est 40 mille milliards de pièces, les cellules. Et chacune de ces «minusculissimes» cellules n’est pas une simple “brique”, empilée les unes sur les autres. Chacune présente des raffinements inouïs, dignes d’un meilleur scénario de science-fiction. Une seule cellule intestinale d’un centième de millimètre peut avoir jusqu’à 30 000 villosités pour augmenter sa surface externe et faciliter l’absorption des aliments digérés. Une simple cellule du foie peut contenir 1 000 à 2 000 mitochondries, lieux d’intenses activités énergétiques ou encore des dizaines de milliers de ribosomes qui synthétisent des milliers de protéines différentes. Dans chaque intérieur cellulaire, des centaines de milliers de réactions chimiques s’y déroulent à la seconde.Pour produire la peau, les muscles, les os... et tout le reste, le corps fabrique plus 100 000 produits différents dont trente mille sont de vraies merveilles de sophistication, les enzymes….
Découvrir et prendre conscience des aptitudes incroyables du corps en l’étudiant comme une « écosystème », unique et complexe, qui de surcroît a une histoire, celle de la Vie, de la Terre et de l’Univers, renforce l’estime de soi, mais pas seulement…
De même, le jeune n’utilise pas suffisamment ses compétences, qu’elles soient cognitives (utilise-t-il le millième des capacité du cerveau !) ou réparatrices (prend-t-il sufff… De façon pragmatique, une place importante faite à la personne physique, à ses potentialités et non à ses apparences ou à ses parties envisagées séparément peut contribuer également à préserver la santé. Nos décideurs devraient être plus attentifs à une telle approche, le trou de la sécurité sociale pourrait être comblé facilement !..
La troisième orientation pour le corps à l’école est dans une mise en perspective de l'imaginaire social. Les projets étudiés en classe peuvent contribuer à clarifier des liens entre corps, gestuelle, émotions, mais également culture, éthique, histoire et art de vivre. Autant de sujets de recherche ! Ils peuvent conduire à mieux comprendre les manières de représenter le corps humain, aussi bien dans l’histoire de l’art que dans les modes récentes.
De même, les différentes façons de penser le corps, la santé, la maladie, les techniques de prévention ou de soins sont extrêmement révélatrices du contexte social, des avancées scientifiques, de l'histoire des idées et encore des différentes façons de penser l'être humain.
Comment un modèle culturel, des normes sociales induisent-ils une façon de marcher ou de manger et combien celles-ci sont-elles diverses ; ces études sont très révélatrices pour les élèves. Elles sont autant de points de départ pour s’initier à l’anthropologie, l’éthique, la philosophie, la psychologie, savoirs toujours absents de l’école.

Faire entrer le corps avec ses multiples dimensions dans la culture, car la conscience de son corps n'est pas que dans l'image qu’en donne notre société, pourrait être un enjeu pour l’école du XXIème siècle.

Pour en savoir plus : A Giordan, Le corps humain, la première merveille du monde, Lattès, 1999.