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L’enseignant,
d’abord un metteur en scène
André Giordan
«Supprimons les leçons faites par le maître ; ne faisons
plus apprendre par cœur aucune leçon ni aucun résumé,
trouvons d'autres éléments générateurs d'efforts
et d'activité». Freinet dans ses écrits était-il
sans doute un peu radical, mais pour lui « la vie de l’enfant,
ses besoins, ses possibilités» étaient à la
base de sa « méthode d’éducation populaire ».
Plus de 70 ans ont passé, les recherches de ces vingt dernières
années sur l’apprendre confirment ses intuitions. L’enseignement
en est changé, du moins il devrait l’être, notamment
le rôle de l’enseignant. Ses apports principaux ne sont plus
dans ses dires ou ses faires, ils sont autres. Peut être faudrait-il
repenser le métier ?..
Comment un élève apprend ?
Beaucoup trop souvent encore, on présuppose que l’élève
apprend à l’école, par simple réception de
notions transmises. Un triple travail est alors attendu de lcelui-ci :
comprendre, mémoriser et appliquer. C’est en se basant sur
ces principes que l’enseignant de base organise sa pratique pédagogique,
même s’il en a pas toujours conscience ! Or, comprendre et
par là apprendre, ne peuvent être le fait d’un décodage
et d’une addition que dans des conditions très strictes .
L’élève, pour «comprendre», doit être
en mesure d’établir un lien de sens entre ses conceptions,
c’est-à-dire ses savoirs « déjà là
» et les connaissances transmises. En prime, il se doit d’avoir
un fort désir pour apprendre les savoirs du jour.
D’autres enseignants affirment que l’élève apprend
en étant actif, notamment en pratiquant «avec ses mains».
Dans 9 cas sur 10, la découverte reste en vérité
très limitée, l’enseignant par des fiches d’activités
ou par son dialogue fait faire à ses élèves ce qu’il
aurait pu dire en direct. On retrouve par la bande la pédagogie
précédente avec les mêmes difficultés. Dans
les quelques véritables situations de recherche, l’élève
ne construit pas automatiquement le savoir. Celui-ci doit s’inscrire
dans son cadre de références ; de plus l’élève
doit être très au clair avec la question en jeu : tout nouveau
savoir répond une question.
Seul l’élève apprend ; mais il ne peut pas apprendre
tout seul.
L'apprentissage est donc un processus complexe dans lequel interviennent
simultanément l'histoire de l’apprenant, ses conceptions
préalables, son environnement social et culturel et son «
désir » de modifier ce qu'il sait déjà pour
« gagner » une connaissance nouvelle qui peut déstabiliser
l'ensemble. Contrairement à ce qu’a pu écrire Piaget,
apprendre, pour un élève, ce n’est pas seulement «assimiler».
L’assimilation n’est possible que dans des conditions bien
délimitées . La plupart du temps, le savoir en place, pour
continuer la métaphore piagétienne, « vomit »
les nouvelles informations, que celles-ci lui soient transmises ou redécouvertes.
Apprendre est d’abord affaire de « re-formulation »,
voire de « trans-formation ». Dans tous les cas, l’élève
se doit de (ré)organiser un système de conceptions plus
ou moins « naïves ». Ce qui exige un travail à
la fois cognitif et métacognitif intense. Jamais il ne peut être
réduit à la simple mémorisation d’un enseignement
magistral ou à quelques activités concrètes.
De plus, la perception que l'individu se fait de la situation d'apprentissage
est déterminante. L'importance, l'intérêt, la qualité
d'une activité pédagogique, du moins l'image qu'il s'en
fait en fonction des projets qu'il poursuit, vont plus ou moins motiver
l'élève. Pour qu'il y ait compréhension d'une situation
d'apprentissage, il faut que celle-ci ait un sens immédiat pour
celui ou celle qui s'y trouve confronté.
Personne ne peut donc apprendre à la place de l’élève,
seul l’élève est « auteur » de son propre
apprentissage. Toutefois l’appropriation d’un savoir factuel
ou d’un outil de portée plus générale par un
apprenant ne peut pas être simplement obtenu par la simple confrontation
de ses conceptions avec un objet d’apprentissage. Un accompagnement
extérieur s’avère toujours indispensable. L’élève
a peu de chance de trouver spontanément tous les éléments
qui vont le nourrir, l’escorter ou interférer avec ses conceptions
pour les transformer.
Un environnement didactique
Connaître les conceptions des élèves eu égard
aux concepts, notions, valeurs, etc… enseignées est tout
à fait essentiel. L’enseignant peut situer l’élève,
anticiper sur les obstacles éventuels à l’apprentissage.
Cependant, la place de l’enseignant dans le processus d’appropriation
ne s’arrête en aucun cas là… Un élève
ne peut donner à une information récoltées ou reçues
que le sens permis par l’état actuel de ses compétences.
Ce n’est pas parce que l’enseignant connaît les conceptions
des élèves et fonde son enseignement sur ces dernières
que les élèves apprendront plus ou mieux. Encore faut-il
que les élèves ressentent la nécessité de
remettre en cause leurs conceptions initiales, donc qu’ils prennent
conscience des limites de ces conceptions. Encore faut-il qu’ils
élaborent des démarches pour les faire évoluer.
La façon optimale de favoriser un tel développement éducatif
est de placer l’élève au sein d’un environnement
didactique interactif, autrement dit de « situer » sa cognition
au sein d’un contexte ayant du sens pour lui et partant susceptible
de l’impliquer et de le rendre véritablement auteur de la
(ré)organisation de sa cognition.
Cet environnement didactique est à l’image de la complexité
de ce qu’est apprendre ! Il ne peut se décliner ni en quelques
recettes, ni en une méthode… au grand dam des ministres et
de certains enseignants toujours avides de panacée ! En premier,
cet environnement se doit de permettre à la personne qui apprend
de dépasser le paradoxe de l'apprendre : l’apprenant ne peut
élaborer que par lui-même, mais en s'appuyant sur l'expérience
et le soutien des autres.
Dans le même temps, l'apprenant n'élabore pas simplement
un savoir : il détermine son propre processus d'apprentissage.
Car apprendre, c’est d’abord se questionner, s’exprimer,
se confronter à la réalité, argumenter avec les autres,
faire des liens, mettre en réseau, mobiliser, etc. De plus, apprendre
est un processus de déconstruction concomitant à celui de
construction dans la mesure où l’apprenant élabore
son savoir sur ses erreurs .
Ce contexte qui facilite l’apprendre s’il ne peut être
décrit vu la complexité du processus en quelques consignes,
procédés ou formules prêts à l’emploi
peut cependant être anticipé. Un système de conditions
facilitantes ont pu être repérées par nos recherches
dans les classes ; les principales peuvent être regroupées
pour l’usage des enseignants dans le diagramme suivant :
L’apprendre
et les conditions de sa mise en scène
Pour apprendre, l’élève a besoin de rencontrer des
situations de communications, d’échanges et de confrontations
d’arguments, d’expériences. Par dessus tout, celles-ci
ont pour but de l’interpeller, le questionner, le concerner, l’étonner…
Dans le même temps, elles doivent pouvoir l’impliquer, lui
donner confiance, le mobiliser par investissement personnel, individuel
ou à l’intérieur de groupes, dans des activités
d’élaboration de sens.
Pour élaborer, ces situations ou ces activités doivent le
conduire à faire des liens, à exprimer, confronter et reformuler
ses idées. Des aides à penser (métaphore, analogies,
schémas,..) peuvent soutenir son effort. Autant de moment où
l’enseignant a une place de choix à jouer… le plus
souvent de façon indirecte.
Apprendre des situations, c’est aussi accepter de se laisser enseigner
par elles, prendre le risque d’être surpris par la dimension
de ce qui se présente et qui met en posture d’apprentissage.
Autrement dit, cet environnement doit le conduire à apprendre à
apprendre ou plutôt à réapprendre et… dans l’état
actuel de l’école à réapprendre à apprendre.
Un métier autre !
Du statut de «récepteur» ou de «simple acteur»
comme on l’envisage habituellement, l’élève
passe par un statut de «chercheur» pour apprendre, via l’élaboration
d’outils et de ressources donnant du sens à ses activités
scolaires et l’autorisant à s’engager dans une démarche.
Un recentrage de l’école sur l'apprendre et non plus sur
l'enseigner a évidemment de grandes conséquences sur le
métier d'enseignant . Du statut de «source d’information»,
l’enseignant passe à un statut de «ressource»
et « d’accompagnateur »… mais pas seulement, il
devient surtout «metteur en scène » des conditions
facilitant l’apprendre. Son rôle en effet n’étant
plus de dire ou de montrer le savoir mais de mettre en place un dispositif
complexe pour encourager, favoriser et parfois même faire accepter
d’apprendre.
Ce qui implique la prise en compte des erreurs, l’émergence
ou l’encouragement du désir d‘apprendre, une écoute
attentive de chaque élève dans sa différence et…
beaucoup d’imagination pour y faire face, dynamiser une approche,
suggérer les activités et fournir les données souhaitables...
Pas simple assurément… et sans doute plus facile à
dire qu'à faire ! Mais l’apprendre est à ce prix !
Bien sûr tout est affaire de formation initiale et de formation
continue. Mais pas seulement… les enseignants ont besoin à
leur tour d'être rassurés, aiguillonnés et dynamisés.
La tâche principale de l'administration et… du ministre est
d'abord de restaurer une confiance dans le corps enseignant. Ensuite peut
être pourront-ils catalyser les énergies qui ne demandent
qu’à émerger !..
Pour des exemples concrets dans les classes, lire :
G. De Vecchi et A. Giordan, L'enseignement scientifique,Comment faire
pour que "ça marche"? , Delagrave, Nlle édition
augmentée 2002 A. Giordan, J et F Guichard, Des idées pour
apprendre, Delagrave, Nlle édition 2002 Sur l'éducation
des plus jeunes M. Cantor et A. Giordan, Les sciences à l'école
maternelle, Delagrave, Nlle édition 2002 A. Giordan, Une didactique
pour les sciences expérimentales, Belin, 1999. et le site LDES
: http://www.ldes.unige.ch/
André Giordan, ancien instituteur est actuellement professeur à
l’université de Genève, directeur du laboratoire de
didactique et épistémologie des sciences. Parallèlement,
il intervient dans les ZEP avec des jeunes en difficultés.
Un environnement pour apprendre à partir du vivant :
En classe, il serait dommage de se priver de travailler sur le vivant.
C’est un des repères importants pour aujourd’hui. De
plus, nombre de situations où des êtres vivants sont impliqués
motivent largement les enfants. Nombre de contes où des animaux
et des plantes sont les “héros” sont une autre occasion
très pertinente (“qu’est ce qui est vrai, de leur vrai
vie pour… -prendre les héros de l’actualité-”
?, “qu’est-ce qui a été imaginé par l’auteur
?”). L’arrivée des Tamagoshi est également une
aubaine pour repérer “en quoi ils imitent vraiment les êtres
vivants ?”
Encore ne faut-il pas en rester à des généralités.
L’approche de fonctions précises en relation à leur
propre vie (grandir, manger, respirer, “faire pipi”, “faire
caca”, “faire des enfants”) sont d’autres “bonnes”
occasions. Ces caractéristiques biologiques ont besoin d’être
abordées très jeune, dès l’école maternelle.
De “fausses” conceptions s’installent très vite,
elles seront difficilement rectifiées ou transformées ensuite.
Enfin, l’étude de leur propre corps est toujours fort “utile”...
La référence à sa santé (notre société
accorde encore peu de place au corps, exception de la publicité
qui ne s’attache qu’à son aspect superficiel), à
des comportement plus porteurs (apprendre à manger, limiter les
stress, favoriser le sommeil et la relaxation, éviter le tabac,
l’alcool et autres drogues, à commencer par l’abus
de médicaments) est à favoriser très tôt. Par
la suite, rien ne pourra plus se faire ou l’évolution sera
extrêmement lente...
Toutefois, une première approche du vivant n’est pas évidente.
Elle exige la rencontre de l’enfant avec un certain nombre de paramètres
qu’il s’agit de mettre en scène. Précisons les
principaux :
- Proposer des situations qui aient du sens pour le jeune enfant. Pour
apprendre, il faut en premier que l'apprenant soit disponible. Le sujet
abordé doit le susciter. Une motivation est fondamentale : on n’apprend
vraiment que si l’on a envie d'apprendre.
La question du vivant, en tant que tel, n’est jamais immédiate.
Elle doit être médiatisé par des “prétextes”
: faire un élevage, développer une culture ou s’intéresser
à sa propre vie biologique (voir encadré 1).
- Faire que l'apprenant se sente concerné, interpellé, questionné.
A chaque instant, il convient que l'élève se sente concerné.
Par exemple, la réalisation d’une carte d'identité
biologique (forme de la main, du pied ou du nez ; taille, poids, nombre
de dents pour les plus grands) permet de découvrir ses caractéristiques
biologiques et se comparer aux autres.
En classe, le point de départ est toujours l’étonnement.
Rendre curieux, c'est d’abord se poser des questions. La confrontation
avec des animaux ou des plantes, par des enquêtes, des investigations,
la confrontation avec les autres par le biais d’un travail de groupe
ou la confrontation avec l’information par un travail documentaire
(observation de photos, films TV,..) sont des moments propices.
- Déclencher l'intérêt et la curiosité par
des perturbations. La sensibilisation à n’importe quel savoir
part de situations déclenchant l'intérêt et la curiosité.
Ce peut être l'émotion de se trouver au milieu d'une serre
à papillons, celle de découvrir les mouvements de son corps,
ou l'étonnement en face d'un grand robot (et sa comparaison à
soi-même).
“Une fourmi, comment ça vit sous la terre ? Il n’y
a pas de lumière. Est-ce qu’il y a de l’air ?...”
Une discussion entre enfants favorise tout à la fois une prise
de recul par rapport aux idées initiales et un certaine perturbation
par rapport à ce qu’on pense immédiatement sans laquelle
il n’y a pas d’apprentissage.
Des activités avec des attelles par exemple, qui bloquent certaines
de leurs articulations, posent questions aux élèves sur
leur mouvement, sur le rôles des os, des muscles ou des articulations.
Ce questionnement et ces mises en relation leur permettent de faire le
lien entre la structure du squelette des membres avec le mouvement, et
ceci de façon durable.
- Provoquer des mises en relation. Apprendre, c'est encore mettre en relation.
Le savoir s’élabore par des mises en relation entre des informations
nouvelles et les savoirs antérieurs. L'enseignant peut proposer
aux apprenants de reformuler ses idées ou ses questions : “qu’est
ce qu’il y de commun entre une mouche et un éléphant
?”, “Pourquoi un homme et une femme font un enfant, une poule
et un coq font un poussin et deux cailloux ne font pas un bébé
cailloux ?”, “Qu’est ce que fait qu’un être
est vivant?” “Que serait-il passé si l’ancêtre
poisson qui est à l’origine de la lignée des mammifères
et de l’homme s’était fait manger” ? “Quels
êtres seront sur la Terre dans un millions d’années
?”
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