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L'école
paraît décalée
André Giordan
La
Croix. - Quel regard portez-vous sur les enfants qui décrochent
à l'école ?
André Giordan - Parmi les enfants qui sont en rupture avec le système
scolaire, il y a les deux extrémités. D'un côté,
on trouve des élèves en grande difficulté parce qu'ils
n'ont pas les moyens de répondre à l'attente du système.
De l'autre, il y a les enfants intellectuellement précoces, plus
nombreux qu'on croit, qui eux aussi se retrouvent hors-jeu pour deux-tiers
d’entre eux parce qu'ils ne trouvent pas à l'école
les réponses aux questions complexes qu'ils se posent. Ceux qui
s'en sortent sont ceux qui comprennent ou acceptent les règles
implicites du jeu.
La Croix. - _Comment redonner de l'intérêt pour l'école
?
André Giordan - De nombreux jeunes se désintéressent
de l'école parce qu'elle ne prend pas assez en compte leurs centres
d'intérêt. Ce qui ne veut pas dire qu’il faille y rester,
la première mission de l'école est l’appropriation
d’un savoir. Par alleurs, apprendre est un acte complexe et paradoxal.
Il faut mêler -et non opposer- les notions d'effort et de plaisir,
partir d'un réel questionnement, prendre le temps de le susciter,
s'appuyer sur ses idées erronées pour les dépasser,
mobiliser les savoir, prendre du recul sur eux. Toutes choses que l'école
ne fait pas.
On peut aussi se poser la question de l'inadaptation grave des contenus.
Au collège, à l'âge où les adolescents vivent
la transformation de leur corps et de leur esprit, on ne consacre pas
une heure à leur parler d'eux, à travers des notions de
psychologie, de sociologie de groupe ou en travaillant en littérature
sur leur propre sentimentalité...
La Croix. - Des actions sont menées, dans les secteurs publics
et privés, pour redonner le goût d'apprendre. Quelles sont
selon vous les plus intéressantes ?
André Giordan - On peut citer en premier lieu celles qui créent
des situations non scolaires. On est obligé, pour sortir ces enfants
de l'échec, de les mettre dans des situations qui ne recréent
pas leur blocage : travail sur projet, sur défi, en petits groupes,
par soi-même. L'important est de leur redonner confiance en eux-mêmes
et dans l'importance d'apprendre.
On ne se donnent pas toujours les moyens de sortir des tabous de l'éducation.
Tabou des emplois du temps saucissonnés, qui coupent l'élan
et la motivation. Tabou des disciplines en nombre trop restreint et enseignées
pour elles-mêmes, alors qu'elles devraient aussi servir à
l'acquisition de démarches intellectuelles qui sont utiles tout
au long de la vie. Tabou des langues, qu'il faudrait aborder dès
la maternelle...
Et puis, il faut faire en sorte que les professeurs puissent avoir des
moments en face à face avec leurs élèves pour les
aider à préciser leur projet personnel, à prendre
du recul par rapport à ce qu'ils font.
La Croix. - Pourquoi certaines expériences concluantes ne parviennent-elles
pas à s'imposer à l'ensemble du système?
André Giordan - Parce que les moyens alloués à l'évaluation
de ces méthodes et à la recherche sur l'éducation
n'existent pratiquement pas. L’école n’a pas d’Histoire...
Parce que les enseignants qui mènent des expériences ne
sont pas soutenus. Parce qu'aucun homme politique ne peut s'attaquer sur
la durée aux conservatismes. Pour dégripper la machine,
il faudrait commencer par recruter et former les enseignants autrement,
en privilégiant les aptitudes pédagogiques, relationnelles
et surtout d’innovations.
Recueilli par Arnaud Schwartz
(1) Auteur de Apprendre !, éd. Belin, 1999, 255 p., 17,50E
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