|
Donner
envie d'apprendre
André Giordan
Professeur à l’université de Genève, où
il dirige le laboratoire de didactique et d’épistémologie
des sciences, André Giordan étudie les processus d’apprentissage
et la façon dont se développe le savoir. Pour lui, il faut
revoir l’école de fond en comble.
Si vous étiez ministre de l’Education, que feriez-vous
après votre nomination?
Rien. La solution ne peut pas venir des ministres. Ce qu’il faut,
c’est favoriser la formation des enseignants. Combien y a-t-il d’IUFM
qui développent de vrais projets pédagogiques ? Avez-vous
vu les locaux qui les abritent ? Aux enseignants aussi, il faut redonner
envie. Et après, tout viendra de la base. Les profs et les instits
ont plein d’idées, si on les laisse s’exprimer.
Que reprochez-vous aux méthodes d’enseignement actuelles
?
Jusqu’à présent, on a toujours enseigné à
travers des modèles, des a priori, sans jamais se préoccuper
vraiment de la façon dont un enfant élabore son savoir.
On présuppose depuis toujours qu’il suffit de montrer et
de dire pour qu’automatiquement il apprenne. J’ai donc essayé,
à travers mes travaux, de mettre à plat les mécanismes
qui fonctionnent dans la tête de l’enfant, pour que l’enseignement
tienne compte de l'élève, c'est-à-dire de celui qui
est censé apprendre.
Alors, que faut-il faire ?
Il n’y a pas de recette miracle. Chaque méthode possède
des aspects qui fonctionnent. L’ennui, c'est que l’on se contente
en général de n’en utiliser qu’une seule. Prenons
l’exemple des méthodes frontales, classiques, où l’enseignant
dispense son savoir. Si l’élève a le même cadre
de référence et se pose les mêmes questions que l’enseignant,
tout ira bien. Mais, dans les autres cas, l’échec est garanti.
Or, le principal problème de l’école réside
précisément dans le décalage fréquent entre
enseignants et élèves.
Vous insistez également sur la nécessité de donner
envie d’apprendre.
Arrêtons de croire que l’élève éprouve
automatiquement le désir d’apprendre. Il convient de commencer
par générer l’envie. Concrètement, cela signifie
qu’il faut parler aux élèves de choses qui les intéressent.
Vous partez de la Star Academy pour les amener ensuite à une réflexion
philosophique sur le statut du héros. Vous les faites travailler
au départ sur la chaîne Hi-Fi pour finalement expliquer le
son. Quand vous expliquez à un jeune en difficulté qu’il
est constitué de 50 mille milliards de cellules, vous changez le
regard qu’il porte sur lui-même. Surtout si derrière,
vous lui précisez que son scooter ne comporte que 300 pièces
! Il faut les étonner, les interpeller, accepter de faire des détours
pour les amener à son propre projet éducatif. Il faut favoriser
les confrontations, et même parfois perturber le jeune, tout en
l’accompagnant pour ne pas le bloquer...
Tout cela vous paraît-il applicable, au quotidien, dans des
classes de 25 ou 30 élèves ?
Mais pourquoi commencer par raisonner en termes de classes ? Quand vous
présentez un film, vous pouvez le faire devant 200 élèves.
A d’autres moments, il faudra recourir au tête-à-tête
pour dépasser certains blocages. Il faut donc penser l’école
autrement. Prenons un autre exemple : qu’y a-t-il de plus démotivant
que l’emploi du temps ? Comment voulez-vous motiver un gosse sur
un sujet, puis le faire passer par toutes sortes d’autres matières,
avant de revenir sur ce sujet trois jours plus tard ? Il faut donc prévoir
des temps longs pour monter certains projets, et des temps courts pour
apprendre un rituel, ou une règle, qui sont des apprentissages
qui deviennent ennuyeux au bout de dix minutes. Ça n’est
pas compliqué : des équipes de profs prennent en charge
des groupes d’élèves, adaptent et modulent leur enseignement
au fur et à mesure. Cela se pratique d’ailleurs déjà
dans le primaire : les instituteurs déterminent leur planning au
jour le jour, et certains vont même jusqu’à échanger
leurs classes, si l’un est plus à l’aise en arithmétique
et l’autre en français, par exemple.
Patrick Lallemant.
|