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Penser l’école

Texte publié dans Libération (2000)

Il est important que l’école soit enfin l’enjeu de débats. Il est très utile que l’école publique soit défendue pied à pied, elle constitue une avancée considérable dans la vie d’une Nation. Mais se passionne-t-on toujours pour les véritables questions ?
Pourquoi ne manifeste-t-on pas pour demander une enseignement plus efficace, plus proche des nécessités actuelles. Comment encore accepter qu’après 9 ans d'anglais ou d'allemand, les élèves soient encore incapables de se débrouiller dans une des deux autres grandes langues de l'Europe? Comment accepter qu’après 12 ans d'école, un cinquième des élèves ne sachent toujours pas lire de façon rapide ou en comprenant le sens.
Et ce n’est pas tout, nous vivons dans un monde d’images, or moins de 5% d'entre eux ont reçu un cours propre à leur apprendre à décoder un schéma ou une photo. En sciences, les élèves s’ennuient considérablement et le savoir est oublié au bout de quelques semaines pendant que l’irrationnel se répand.
On peut même réussir aux examens sans maîtriser tant soi peu le travail de groupe, une expression orale aisée ou encore sans être capable de mettre en oeuvre un raisonnement complexe, et cela suite à une scolarité complète à l’école publique... ou privée.

Quoi apprendre ?

La première question qui devrait faire l’objet d’un débat national devrait être "Quoi apprendre?" “Et pourquoi ?” Le traditionnel projet savoir lire, écrire et compter est notablement insuffisant aujourd’hui face aux enjeux actuels. De quels savoirs avons-nous besoin pour affronter les défis actuels ? Quels autres savoirs sont nécessaires pour participer à la régulation d'une société démocratique ? Qu’en est-il en matière de vie professionnelle ou personnelle ?  
D'énormes lacunes existent dans les savoirs scolaires. Des champs entiers de savoirs contemporains sont absents ou extrêmement restreints à l’école. Qu'enseigne-t-on sur la santé par exemple ? Pas grand chose, un peu d'hygiène sexuelle ou de diététique parfois. La médecine est ignorée, pourtant, loin d'exclure le recours aux experts, un optimum de savoirs médicaux permettrait à tout un chacun de mieux se soigner ou encore de poser les bonnes questions aux spécialistes quand nécessaire.
L'environnement, l'aménagement de l'espace dont on scande tous les jours l'intérêt ne fait toujours pas l'objet d'un enseignement systématique. Actuellement, moins de 5% des élèves en ont une toute petite sensibilisation. La connaissance du cinéma, de la télévision, la culture de l'image en général, la sémiotique, tout ce qui a trait à l'histoire, aux mondes de l'image, de la presse sont absents.
La culture des techniques, la production industrielle, etc. sont toujours dévalorisées, méprisées ou limitées à quelques secteurs professionnels. Pourtant, elles devraient être élevées au rang de culture pour tous, tant leurs apports, les transformations qu'elles introduisent sont considérables pour mieux produire et bien consommer.
De même, on n'aborde jamais avec sérieux l'économie, l'éthique, l'épistémologie, ou si peu dans les classes terminales. La consommation, le droit, l’architecture, la stratégie, la sociologie, la psychologie individuelle et de groupe, l'analyse des institutions, l'anthropologie, l'histoire des idées dont celle des mythes, des croyances ou des sciences et des techniques sont ignorés. Fait encore plus significatif, le savoir sur l'apprendre n'est pas envisagé à l'école!...

 

Enseigner n’est pas apprendre

Bien sûr, il n'est plus possible de penser entrer dans tous ces domaines à l’école. Cela d'autant plus que dans chaque, les connaissances augmentent considérablement : les savoirs doublent tous les dix ans en moyenne, la moitié des données en technologie sont périmées au bout de cinq ans. Neuf dixièmes des connaissances que les élèves auront à maîtriser au cours de leur vie n'ont pas encore été produites. Leur importance est devenue telle qu'il est hors de question de pouvoir apprendre une telle masse de savoirs. Des choix drastiques sur les contenus actuels sont à faire, de plus, on ne peut penser doubler le temps scolaire de la même façon.
En premier, il s'agit donc plutôt d'apprendre aux élèves à gérer ces connaissances par eux-mêmes. Ce turn-over de données demande des individus constamment à l'affût. En premier, il leur faut acquérir des méthodes pour accéder aux informations, les trier, les mobiliser à bon escient ou encore pour évaluer leur pertinence et leur plausibilité par rapport aux problèmes à traiter.
Apprendre à gérer sa formation devient également une priorité. L'appropriation d'attitudes est fondamentale en tant que moteur de la mobilisation des savoirs. Des concepts structurants en tant que noeuds de pensée peuvent encore être mis en avant. Matière, énergie, espace, temps, organisation, régulation, identité, mémoire, évolution, etc. apparaissent comme des ancrages pertinents d'un réseau transversal pouvant fédérer les multiples données. En tout cas, ils peuvent éviter de se sentir perdus dans un flot continuel d'informations.

Une pragmatique

L'acquisition de démarches de régulation des savoirs devient tout aussi prioritaire. En premier lieu, il s'agit d'accéder à ce que nous appelons une pragmatique, c'est-à-dire une pensée apte à relever le défi des situations et des organisations complexes. Son but : poser les problèmes, détecter les enjeux et saisir les systèmes (acteurs, flux, interactions) et leurs évolutions potentielles.
Cette pragmatique doit se concevoir, dès l’école primaire, comme une forme de pensée conduisant à l'action, notamment par la recherche de solutions, du moins d'approximations sur le court et le moyen terme. Elle doit conduire à gérer des changements, alors même que les données, les règles du jeu évoluent de jour en jour. L'important est à mettre sur le questionnement plus que sur la réponse qui ne peut être que conjoncturelle, sur la dynamique plus que le projet à atteindre, ce dernier ne jouant le rôle que de référent provisoire.
Pour mener à bien une telle démarche, l'élève doit pouvoir accéder à des démarches de modélisation et de simulation. Il doit maîtriser diverses techniques d'investigation et d'argumentation. Il doit posséder certaines capacités sur les relations interpersonnelles. Il doit même apprendre à négocier et prendre des décisions. La clarification des valeurs (éthiques ou esthétiques) qui interfèrent en permanence avec les savoirs doit être incluse dans le processus éducatif.
Par dessus tout, l’élève doit devenir capable de s'adapter continuellement et de réviser ses points de vue. Il doit se situer au milieu de réseaux dynamiques de savoirs fluides, extrêmement complexes, en interactions multiples où tout est résonance. Il faut ajouter que ce réseau de compétences n’est pas complet si l’élève, futur citoyen, n'a jamais pu s'exercer à produire des savoirs par des processus analogues à ceux de la recherche et à évaluer leur plausibilité et leur pertinence en regard des problèmes à résoudre.

 

Une nouvelle cohérence conceptuelle

L'école ne peut donc plus se satisfaire d'un découpage en disciplines datant de la fin du XIXème siècle. Ses contenus ne peuvent plus être définis par réduction à partir des savoirs universitaires. Des discussions importantes sont à mener  , elles devraient concerner l'ensemble de la population car ces questions ne sont pas seulement techniques, elles dépendent des choix et des priorités attribuées à l'éducation.
Une autre éducation formelle est à penser et à faire exister à très court terme. Pour sortir de son attitude frileuse, l’école doit faire une plus grande place à l'approche du local, intégrer d’autres structures culturelles (musée, clubs, média-thèques, bibliothèques, groupes d’échange de savoirs,..). Elle doit introduire plus largement des outils d'investigation parallèlement à ceux de réflexion qu'elle doit profondément réorienter, notamment en privilégiant le savoir sur le savoir.

 

 Dans le même élan, il nous faudrait pas oublier les questions d'intendance : comment apprend-on ? Où ? Quand ? Et surtout, avec quel rapport “qualité-prix” ? De nouvelles stratégies pour faciliter l’apprendre ont été mises au point, notamment nos travaux sur le modèles d’apprentissage allostérique. Pour en savoir plus, lire A. Giordan et G. de Vecchi, Les origines du savoir, Delachaux, Neuchâtel, 1987; et G. de Vecchi et A. Giordan, L’enseignement scientifique, comment faire pour que “ça marche” ?, Z’Editions, 1989.

  La définition des finalités ne peut dépendre de la décision de quelques administrateurs ou d'une quelconque commission constituée d'éminents spécialistes. Définir un projet éducatif ne peut se réduire à présenter un simple programme de connaissances. Bien au contraire, sa formulation demande à être explicitée dans ses ressorts intimes et débattue le plus précisément et le plus largement possible. Il serait même souhaitable qu'elle fût l'objet d'un consensus national ..., voire européen. Les choix doivent engager l'ensemble des forces vives de la société, de la même manière, ils doivent être validés par ces dernières.