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Vive le troisième millénaire !!!
André Giordan
L'année zéro n'ayant pas existé, il est logique de fêter le nouveau millénaire le premier janvier 2001. L'an 2000 n'est-il pas plutôt un mythe, voire même un double mythe! La rencontre d'un mythe scientifique, celui des chiffres dits "ronds", et du mythe chrétien, la naissance du Christ... Alors vive le troisième millénaire! Et bon millénaire...
Mais au fait, est-ce que cela signifie quelque chose de changer de millénaire? N'est-ce pas encore une histoire qu'on se raconte? Comment en est-on arrivé à dire que nous changeons d'année, de siècle et de millénaire, à la fois?..
Chaque année comporte 365 jours, ou encore 12 mois ou 52 semaines de 7 jours ; et le premier jour de l'an se situe le premier janvier. Cela semble évident, presque naturel et de toute éternité. Et pourtant...
L'invention de notre calendrier fut un exercice d'une effroyable complexité. Il n'a d'ailleurs que 418 ans d'âge. Plus précisément, il fut instauré le 15 octobre 1582 à la demande expresse du pape Grégoire XIII. Les pays anglo-saxons ne l'adoptèrent qu'en... 1752, la Chine en 1911 (parallèlement au calendrier chinois traditionnel, toujours en place) et l'ancienne Union soviétique en... 1940. Nombre de peuples ou de groupes ethniques ne s'y sont pas encore ralliés, et non des moindres, comme les bouddhistes, les musulmans ou les juifs qui conservent encore et toujours leurs calendriers respectifs.
Ainsi il s'agit bien d'une invention qui repose entièrement sur une convention... Bien d'autres façons de compter le temps ont été ou pourraient être imaginées. En fait, il faut plutôt y voir une suite d'innovations successives basées sur des choix bien particuliers. Et comme les enjeux étaient grands, il faut y voir encore nombre de compromis habiles.
La journée ne posait pas de problème immédiat, -elle en pose par contre aujourd'hui-, l'alternance marquée du jour et de la nuit étant un phénomène aisé à repérer. L'année, par contre restait toujours délicate à définir. Elle demandait des observations précises du déplacement des astres. Encore fallait-il choisir les "bons"...
Comble de difficultés, l'année n'étant pas un multiple strict du nombre des jours -la Terre fait le tour du Soleil en 365 jours un quart, à quelque chose près- il fallut imaginer un truc. Ainsi, des années bissextiles furent introduites pour rattraper le retard dans la course de notre astre autour de son étoile.
Tant que l'Homme était chasseur, la succession des saisons lui était suffisante pour marquer le temps. Tout au plus les phases de la lune pouvaient-elles rythmer des durées et fournir quelques repères. L'influence jouée par cet astre a toujours été grande sur les diverses sociétés humaines. Les Bushmen l'implorent encore les soirs de pleine lune aux cris de "Lune, salut à toi", pendant que les Inuits font ripaille, dansent et échangent leur femme.
Avec l'introduction de la culture et de l'élevage, un compte des jours basé sur la lune n'apparut plus pertinent, du moins dans les pays à saisons. Le cycle lunaire, s'il correspond étrangement au cycle de la femme, n'est pas du tout en corrélation avec le cycle solaire.
Dès lors, point de prévisions possibles sur les périodes de froid ou de chaud, de pluie ou de sécheresse. Comment se repérer sérieusement? Quand semer? quand conduire les troupeaux aux pâturages? Seule une bonne connaissance du cycle solaire permet de prévoir avec certitude le retour des saisons.
Mais encore fallait-il se faire une conception suffisante du mouvement de nos astres, du moins des principaux. Une fois ces savoirs acquis, restait le plus compliqué... dépasser les habitudes humaines est un exercice bien difficile! Le cycle solaire semble connu depuis au moins 2500 ans avant JC. Mais les premiers calendriers n'en tenaient pas compte. Le mythe de la Lune était sûrement trop fort. Tous tentaient désespérément de mesurer le cycle des saisons en fonction d'un multiple de celui de la lune.
Comme les deux ne pouvaient concorder complètement, on imagina un mois intercalaire. Mais plusieurs solutions étant possibles, chaque état grec le plaça en fonction de ses usages propres, pour marquer un événement politique ou religieux, ce qui ne manqua pas de susciter une certaine confusion. En 432 avant JC, les astronomes babyloniens -les plus avancés à l'époque- avancèrent une proposition unificatrice: un cycle de 19 années.
Les juifs ont repris et maintenu cette organisation: l'année comporte 12 mois de 29 ou 30 jours chacun. Pour rattraper l'année solaire, un mois supplémentaire est ajouté les troisième, sixième, huitième, onzième, quatorzième, dix-septième et dix-neuvième années.
Les Egyptiens, quant à eux, s'étaient bien affranchis des facilités trompeuses de la Lune. Il est vrai qu'ils avaient, eux, un autre puissant repère : les crues du Nil, qui découpaient l'année en trois périodes : inondation, culture, récolte. Un autre signe dans le ciel les fascinait. Sirius, l'étoile la plus brillante, se lève une fois par an dans la même direction que le soleil. Cet événement qui se déroulait au milieu de la saison des crues, devint le début de l'an.
Le cycle lunaire ne fut cependant jamais totalement abandonné. Il continuait -et continue toujours d'ailleurs- à imprégner indirectement le déroulement de l'année. Les Romains décomposèrent celle-ci en 12 mois de trente jours pour rester au plus proche du mois lunaire ; ils ajoutaient, trois années sur quatre, cinq jours pour boucler l'année solaire et un sixième tous les quatre ans. Pour la petite histoire, les fêtes religieuses se déterminaient également dans un strict respect des phases de la lune. Les chrétiens d'Orient ne célèbrent-ils pas toujours la Pâques le quatorzième jour du mois lunaire qui tombe après l'équinoxe? Les chrétiens fidèles à Rome ne font -il pas de même, ajoutant en plus la condition que celui-ci soit un dimanche?
Ce calendrier mi-solaire, mi-lune, était tellement perfectionné que Jules César l'imposa dans tout l'Empire romain.
Ce fut le calendrier julien. Il se maintint jusqu'à la Renaissance. Copernic l'utilise encore pour établir ses cartes astronomiques. Seules quelques rectifications mineures sont introduites: Un des cinq jours supplémentaires fut attribué à un mois sur deux, et l'Empereur Auguste décida que le mois d'août, qui lui était attribué, aurait autant de jours que celui de juillet dédié à Jules César. Il fallait donc compenser en enlevant -et pourquoi pas à février?- ce jour "en trop". Empereur oblige!
Pourtant, à partir du XVème siècle, il apparaît nettement que ce calendrier manque de précision. L'orbite complète autour du soleil -on ne pouvait encore s'exprimer officiellement ainsi- fut calculée: 365 jours, cinq heures, 48 minutes et 46 secondes, soit quelques 11 minutes et 14 secondes de moins que l'année égyptienne. Au cours des siècles, les dates principales avaient fini par se décaler. En 1582, la fête de Pâques, établie le 21 mars par le Concile de Nicée, se retrouva célébrée... le 11 mars ! Pour des raisons théologiques, mais surtout sensible à des arguments agricoles et commerciaux, le Pape Grégoire XIII décréta que le 4 octobre 1582 serait suivi... du 15 octobre... A quoi tient l'instauration du début du millénaire! On en profita pour réajuster les années bissextiles. Le calendrier grégorien supprima le jour intercalaire les années se terminant par cent, à l'exception des années divisibles par 400. Voilà pourquoi l'an 2000 eut un 29 février...
Restait à déterminer un point de départ. Quelle origine prendre? Rome avait fixé comme début la date supposée de sa fondation. La papauté fit de même en choisissant la naissance du Christ. La date retenue -752 ans dans le calendrier romain- fut calculée par un moine anglais, l'abbé de Jarrow, dit "Bède le Vénérable". Elle fut officialisée plus tard en 666 au concile de Whitby. La théologie, les annales et l'histoire intervinrent dans ce travail. Les Ecritures ne pouvaient être d'un grand secours. Le recensement ordonné par Quirinus et qui occasionna le déplacement de Marie et de Joseph à Bethléem est certes un élément important. Mais comment le dater?
Les évangélistes Luc et Mathieu signalent bien que le Christ est né avant la mort d'Hérode, le souverain qui bâtit le Temple de Jérusalem. Luc signale certes que Jésus a commencé sa vie publique à 30 ans en l'an XV du Principat de Tibère Auguste, Ponce Pilate était Gouverneur de Judée et Hérode le Grand, roi de Palestine. Or ces diverses dates ne collent pas du tout, il y a dix ans d'écart entre la mort d'Hérode et l'arrivée de Quirinus, et la quinzième année de Tibère se situe deux ans après la mort d'Hérode. Encore aujourd'hui tous ces points font l'objet de débats. "Bède le Vénérable" dut pourtant trancher avec moins de données!
Ainsi, nous entrons dans ce troisième millénaire avec une grande incertitude... A moins que nous n'entrions avec retard. Les historiens actuels semblent presque d'accord pour dire que Jésus est né entre - 3 et - 6 de notre ère !.. Ce que confirment les supputassions sur "l'étoile" des Rois Mages qui a sans doute pu être une comète. Après tout, peu importe puisque ce n'est qu'une convention !
Mais puisque c'est seulement une convention, arrêtons de mythifier sur ce passage... Pourquoi ne pas militer plutôt pour une référence commune à l'ensemble de l'humanité, une référence plus naturelle, comme l'ont fait les Révolutionnaires quand ils ont introduit le système métrique. La Commission internationale des Poids et des Mesures ne pourrait-elle pas avoir pour mission d'inventer un nouveau calendrier avec une nouvelle origine ?..
Puisqu'on se vante de mondialisation, une référence bien identifiée, commune à toute l'humanité, ne serait-elle pas plus symbolique d'une société qui se veut moderne et en pleine transformation ? Ne serait-elle pas plus propre à rapprocher les Hommes ?
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