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L’école
n’a pas d’histoire !
L’école
n’a pas d’histoire ! Trente ans de réformes successives
non préparées, non partagées, inachevées,
pas évaluées n’ont servi à rien… Et pour
confirmer cet état de fait, le nouveau ministre de l’éducation
va proposer sa réformette personnelle : une supposée nouvelle
loi d’orientation. Pourtant un peu de recul sur un passé
récent montrerait que le changement de l’école ne
se légifère pas... et que le changement ne vient jamais
d’en haut !
Cette difficulté de mutation n’est pas l’apanage de
l’école : toute organisation réagit de la sorte. Dans
tout système humain (individu, service, entreprise, institution),
le fait de légiférer ou de décréter un changement
immédiat et brutal est ressenti par ses éléments
ou ses membres comme un diktat. Tous le vivent comme une agression et
réagissent immédiatement en opposant toute l'énergie
de leurs résistances.
Les mesures seraient-elles favorables ou porteuses d'innovations qu'il
en serait ainsi ! Le renforcement de l’enseignement des langues
vivantes, les diverses dispositions propres à soutenir les élèves
en difficulté (classes relais, heures de soutien), l’augmentation
du volume des bourses, l’objectif de commencer à penser la
formation dans les instituts universitaires de formation peuvent difficilement
passer pour des mauvais coups assénés à notre système
éducatif.
Sur un plan européen, nous constatons que les institutions qui
ont le plus fait l'objet et les frais de tentatives de réformes
maladroitement engagées, s'avèrent précisément
celles qui ont le plus de mal à évoluer. Il en résulte
à chaque fois un peu plus d'immobilisme. dramatique en période
de mutation.
Qui bloque ?
L’institution est ainsi bloquée par la maladresse de ses
dirigeants. Dès lors, il n’est pas étonnant que la
majorité des enseignants… attendent toujours la prochaine
réforme ! La situation de « réforme » est vécue
par eux comme une sorte de non acceptation de leur identité. L'exemple
des TPE est le plus démonstratif ; à tous les échelons,
des élèves aux inspecteurs, des résistances ont fusé
lors de leur implantation non préparée avant qu'ils soient
encensés quand le ministre les… supprime !
Tout supposé changement est perçu par les personnes comme
un déni, elle mobilise ses freins pour se maintenir en l’état.
Et pour les quelques téméraires, ou les plus « obéissants
», ou encore, pour ceux qui se laissent tenter par quelques sirènes
rénovatrices, le retour sur terre est toujours brutal. Par exemple,
que sont devenus les enseignants qui se sont investis dans « l’Ecole
du XXIe siècle » de Claude Allègre ? Ce sont aujourd’hui
les plus conservateurs. Ils ont été lâchés
en rase campagne six mois après, sans un mot de remerciements.
Et ceux qui ont cru au développement de l’éducation
artistique lancée par Jack Lang ? Comment les remotiver ensuite
pour une « nouvelle épopée » ?
Si l'on pouvait chiffrer les pertes dues à la non prise en compte
de "l'écologie" des organisations, on prendrait alors
réellement conscience du coût de ces attitudes dommageables
dans la conduite du changement. Et ce serait sans compter celles encore
plus pernicieuses liées au non respect déjà évoqué…
L’énergie, le temps, la motivation mises pour compenser cette
frustration au lieu d'utiliser ces ressources et ces compétences
pour poursuivre un développement volontaire et enrichissant sont
incalculables. Un seul ministre avait bien perçu cette dynamique
négative : Edgar Faure. « En décrétant le changement,
disait il, l'immobilisme s'est mis en marche et je ne sais plus comment
l'arrêter.» C’était lors de la mise en place
de sa réforme de l'Education nationale… en 1968 ! Depuis
tout n’a jamais fait que se répéter…
Le changement, un processus paradoxal
Le changement réussi est de l'ordre de l'informel et du complexe.
C’est une transformation du regard qu’il s’agit de mettre
en place en premier. Il s'opère d'autant mieux qu'il s'effectue
inconsciemment, un peu comme les modifications du rythme cardiaque qui
se produisent à notre insu. Il s’élabore d'autant
plus efficacement que l'on évite le recours aux ordres et aux décrets
qui sont généralement subis comme des cassures et des ruptures,
et que l'on prend appui sur les potentialités que tout système
humain possède pour évoluer. Ce sont les conditions de base
pour obtenir la coopération des membres et des parties d’une
organisation dans sa dynamique d'évolution. Et cette approche requiert
toute la vigilance du promoteur de changement. Si celui-ci met l'accent
sur les défauts et cherche en premier lieu à les éliminer,
il a toutes les chances d'activer les blocages et par effet rétroactif
de renforcer les dysfonctionnements repérés. Par contre,
le respect et la valorisation des systèmes humains et des personnes
dynamisent leurs possibilités d'évolution et les autonomisent.
Paradoxalement, c'est au moment où l'on s’accepte dans ses
propres manques et où l'on se sent reconnu que l'on peut entrer
le plus facilement dans un processus de changement. Toute organisation
humaine, et cela est encore plus vrai pour l’école et ses
personnels, y compris de direction, a fondamentalement besoin de cette
reconnaissance et de cette valorisation avant de pouvoir entrer dans une
dynamique d’évolution. C'est alors que les ressources et
les compétences du système deviennent facilement mobilisables
pour parvenir aux fins souhaitées. Or contrairement à ce
que l’on pense généralement, les innovations ne manquent
pas à l’école. Le problème est qu’elles
sont peu connues, pas évaluées, rarement mutualisées,
jamais valorisées. La plupart du temps, les enseignants les font
même en cachette de peur de se faire « taper sur les doigts
».
Le changement est éminemment paradoxal. Sans doute, sont-ce ces
savoirs qui devraient faire partie du « socle commun de connaissances
» de l’école. Cela serait certainement très
utile à nos hommes politiques, mais pas seulement !..
C’est cette culture du changement qu’il s’agit d’injecter
dans nos organisations, et pour commencer à l’école.
Nombre d’enseignants sont déjà prêts à
s’y lancer si on leur « lâche les baskets », si
on les reconnaît dans leurs efforts et leurs compétences,
et surtout si on les accompagne dans leurs faux-pas. Pour les autres,
tout est une affaire de recrutement, de formation et de reconnaissance…
Sur ce dernier plan, un ministre a alors peut être sa place…André
Giordan, ancien instituteur, ancien professeur de collège et de
lycée est actuellement professeur à l’université
de Genève et directeur du Laboratoire de didactique et épistémologie
des sciences. Par ailleurs, il intervient toujours très souvent
dans les ZEP.
Derniers
ouvrages : A. Giordan, Une autre école pour nos enfants ? Delagrave, 2002, A. Giordan, Apprendre !, Belin, nlle édition
2004 et le site LDES :
http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/giordan/LDES/index.html |