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Le spermatozoïde a aussi une histoire
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Le spermatozoïde a aussi une histoire

par André Giordan
et Séverine Giordan

52 avant Jésus Christ,
736,
1515,
1789,
Autant de dates qui te rappellent quelque chose (1). Mais si je te propose : 1677. Alors là, je suis sûr que tu restes sans réponse. Essaie de demander à ton prof. d’histoire ce qui s’est passé cette année-là en Europe. Tu vas faire un tabac ! Tu vas évidemment le coller.
Cette date correspond pourtant à un événement important pour la pensée humaine. C’est aussi une date fondamentale pour la connaissance de la vie. On découvre le ... spermatozoïde.
Celui-là, tu le connais... Tu sais qu’il est indispensable au même titre que l’ovule pour fabriquer un enfant. Mais que le spermatozoïde ait aussi une histoire... je crains que cela ne te surprenne. Bien sûr, ne pense pas celui qui t’a fabriqué : il a été produit par ton père en 74 jours! Non, c’est l’idée qu’il faille un spermatozoïde pour faire un enfant qui a une histoire. Une grande histoire, même !
Si tu as envie de la connaître, lis la suite du texte. Autrement va directement à l’article suivant.

Une passion : le microscope

Tout commence donc à la fin du XVIIeme siècle, le siècle du Roi-Soleil, Louis XIV. Notre histoire cependant ne se déroule pas en France, mais plus au Nord, aux Pays-Bas.
Un marchand de drap,  Antonie Van Leeuwenhoek âgé d’une trentaine d’années a une passion : le microscope.  Il faut te dire que le microscope était l’objet à la mode de l’époque. Celui qui classe quelqu’un, comme le “scooter”, le pull Chevignon ou l’ordinateur aujourd’hui.
A mesure qu’il observait à travers cet appareil, il découvrait un monde inattendu, fantastique même. De surprenantes créatures très petites mais infiniment complexes s’offraient à sa vue.
Cela l’amusait beaucoup et il en faisait partager sa joie aux autres érudits de l’époque. Ainsi en novembre 1677, Bronnker, Secrétaire de la Société royale de Londres reçoit une lettre de Leeuwenhoek dans laquelle ce dernier décrit des... animalcules. Voilà nos spermatozoïdes présentés pour la première fois et avec une infinité de détails (2) .

Sans doute une question géniale a germé dans ton cerveau. Mais si on connaît les spermatozoïdes à la fin du XVIIeme siècle, qu’est ce qu’on pensait avant..., avant de rencontrer les spermatozoïdes, bien sûr ? Les enfants se fabriquaient comment pour les contemporains de Racine, Molière ou encore La Fontaine?
Très bonne question. Je te remercie de me l’avoir posée. Aussi surprenant que cela puisse te paraître, le spermatozoïde ne jouait aucun rôle dans leur esprit.
Pourtant, tu te doutes que très tôt, on avait remarqué que le mâle devait bien apporté quelque chose. Certains pensaient que seul le contact du père avec la mère suffisait, d’autres imaginèrent que ce devait être le sperme qui était actif (3). Je dis bien le sperme, pas les spermatozoïdes qu’il contient puisqu’ils étaient inconnus.
Pour Hippocrate, un chercheur grec qui vivait au V siècle (avant JC), les deux sexes fabriquent chacun un liquide spermatique  dans tout le corps ; plus particulièrement dans la tête où ils gagnent les reins par la moelle épinière.
Les deux semences se mélangent lors de l’accouplement sexuel et s’épaississent sous l’influence de la chaleur du corps de la femme. La chaleur était une idée très importante alors. Elle expliquait le développement du bébé : comme un gâteau mis au four ! C’était aussi de la chaleur que naissait l’esprit.
Cette idée a duré plus de deux millénaires. L’espèce humaine ne change pas facilement d’idées. Bien sûr il y eut quelques variantes. Un autre grec du IIIeme siècle (avant JC) , Aristote pensait que le sperme influençait la semence féminine. Le sperme joue le rôle du sculpteur, et la semence féminine la matière qui va prendre forme. Pour lui, la semence produite par la femme, c’est ce qu’on appelle aujourd’hui les règles.
Ne rigole pas. N’oublie pas qu’on ne connaît pas encore l’ovule. Et puis, cela a une certaine logique puisque les règles disparaissent quand la femme est enceinte.
Ainsi jusqu’au XVIeme siècle, des penseurs aussi brillants que Descartes continuent à penser des choses semblables. L’enfant est le résultat du mélange de deux liqueurs qui agissent l’une sur l’autre, comme le levain (levure) sur la pâte et réciproquement.

Et après Leeuwenhoek ?

Bien sûr avec Leeuwenhoek, tu penses qu’on sait tout sur la noble tâche du spermatozoïde . Et  bien non  ! au contraire. Ce fut pire.
Il ne suffit pas de regarder, même au microscope pour comprendre. La découverte de ce monde étonnant va apporter beaucoup d’idées fausses.
Leeuwenhoek et bien d’autres vont déduire de l’observation du spermatozoïde que c’est le mâle qui fait l’enfant, seul. La mère est perçue comme une simple couveuse.
Tu penses peut-être que j’exagère. Non, Leeuwenhoek , le grand Leeuwenhoek comme disent certains livres, admet que jusqu’à un certain point que le corps de l’enfant est inclus dans le spermatozoïde.
D’autres seront moins réservés que lui. Convaincus par cette  nouvelle idée, ils iront jusqu’à voir et dessiner un petit enfant dans le spermatozoïde !
Au XVIII siècle, le débat s’envenime même. Beaucoup de chercheurs ne sont pas convaincus par ce nouveau venu. Maupertuis et d’autres vont complètement le snober et continuer à penser au mélange des semences.
D’autres encore comme Bonnet, Spallanzani vont s’intéresser plutôt à l’ovule que de Graaf vient de décrire. Ce n’est pas le spermatozoïde qui contient l’enfant mais l’ovule. 
Tous sont bien gênés par le spermatozoïde. Chacun aura alors sa solution. Certains vont continuer à refuser son existence. Quand, à force de le rencontrer, ils ne pourront plus, ils lui font jouer un rôle secondaire. C’est un parasite du sperme, proclament les uns. Tout comme l’on constate des êtres vivants unicellulaires dans de l’eau croupie, on trouve des spermatozoïdes dans le sperme. D’autres disent qu’il sert à mélanger les deux semences grâce ... à leur flagelle (3) .
D’autres encore vont penser qu’ils servent à exciter le bébé déjà présent dans l’ovule pour le réveiller et le contraindre à se développer.

Deux siècles plus tard... enfin le consensus vint !

En 1848, le célèbre physiologiste Muller ne sait toujours pas quoi faire avec le spermatozoïde. Doit-il le considérer comme une production animale ou est-il lui-même un petit animal ? Dans ce dernier cas où sont ses oeufs ? Doit-on le classer parmi les cercaires, c’est-à-dire des vers plats ou sont-ils des sortes de grains de pollen ?
C’est donc deux siècles après leur découverte -il y a juste un peu plus de 100 ans- qu’un consensus se fait sur le rôle des spermatozoïdes. Hertwig, avec d’autres comme Van Beneden, Strasburger, vont émettre une théorie de la fécondation où le spermatozoïde  va être considéré à l’égal de l’ovule.
Peu de temps après, Fol va suivre pour la première fois tous les détails de la pénétration d’un spermatozoïde dans l’ovule.  Mais il faudra attendre le XX siècle pour qu’on comprenne leur rôle complémentaire.
Ovule et spermatozoïde apportent chacun une partie de l’information génétique provenant des parents pour fabriquer l’enfant. Des sortes de facteurs, quoi !

Demande à ton prof ou à tes parents de te raconter l’histoire de l’ovule, du gène, du microbe ou des cellules. Elles sont tout aussi passionnantes. Tu risques aussi de les coller. Alors conseille leur de lire le livre Giordan, Histoire de la Biologie, Lavoisier, 1987. Et explique-leur qu’il n’y a pas que l’histoire des batailles qui compte. L’histoire de la vie est plus fondamentale.

Pour en savoir plus : Qui a découvert la fécondation ?

Si tu regardes les bouquins de classe, tu liras souvent que “Thuret a découvert la fécondation”. Eh bien, c’est une erreur. Le Professeur Giordan a montré que si ce brillant naturaliste a bien travaillé sur la fécondation des algues, il n’a jamais vu la pénétration du spermatozoïde dans l’ovule. Il suppose même que le spermatozoïde peut agir à distance.
D’autres livres ont depuis rectifié l’erreur, mais ils écrivent “Leeuwenhoek a découvert le spermatozoïde ... De Graaf, l’ovule... Spallanzani a réalisé la première fécondation artificielle (grenouille)...”
Eux aussi te trompent. Comme l’on vient de le voir, il ne suffit pas de regarder pour comprendre. Ils te donnent une image fausse de la recherche scientifique, car ils oublient de te parler des erreurs, des fausses pistes qui ont été nombreuses et très instructives.
La science est une aventure humaine où le savoir s’élabore par approximation successive, par rectification d’erreurs. On apprend beaucoup de choses quand on analyse pourquoi quelqu’un s’est trompé !

Spallanzani par exemple fut un très grand expérimentateur. Il travailla plus de vingt ans sur la reproduction des crapauds. C’est lui qui confirma le rôle du sperme dans la fécondation. S’il mettait des petites culottes en “taffetas” -une sorte de soie-  aux crapauds mâles, il y avait bien accouplement mais pas de fécondation.
Il faisait aussi la contre expérience. Il récupérait le sperme dans la culotte, inséminait les ovules et obtenait des oeufs fécondés. Il montra même que le sperme n’agit pas à distance comme beaucoup le pensait par une sorte de vapeur appelée aura seminalis,  mais directement.
Pourtant il se trompait sur le rôle des spermatozoïdes quand il déclarait :
“Ceux qui croient que les vers spermatiques (spermatozoïdes) sont les artisans de la reproduction doivent nécessairement supposer qu’ils existent dans le sperme toutes les fois que l’accouplement est fécond. D’où il résulte que le sperme doit être stérile quand il sera sans spermatozoïde : mais cela ne s’accorde pas avec les faits.
Premièrement quoique j’ai observé la semence de ces animaux, je n’ai vu absolument aucun spermatozoïde ; entre autre la semence de deux crapauds où je n’ai vu aucun spermatozoïde a très bien fécondé....
Secondement, je mêlai de l’urine humaine ou du vinaigre dans le sperme et je m’assurai que tous les vers avaient été tués par ce mélange : cependant cette semence ne perdit pas son pouvoir de fécondation”.
Il faut te dire que Spallanzani avait une explication dans laquelle le spermatozoïde ne pouvait jouer aucun rôle. Il pensait sous l’influence de Charles Bonnet que l’embryon existait déjà dans l’ovule. Il appelait déjà “têtard”!
Et puis, le spermatozoïde était si différent. Comment aurait-il pu jouer un rôle équivalent ?
Enfin, n’oublie pas qu’on raisonne avec les idées de l’époque. Aujourd’hui quand on veut expliquer quelque chose de complexe, on prend l’image de l’ordinateur. A cette époque, on pensait horlogerie ! Pouvait-on concevoir qu’une petite montre rencontre une horloge et fabrique un troisième mécanisme !
Seul le sperme pouvait jouer un rôle pour nourrir l’enfant contenu dans l’ovule bien avant la fécondation.

 

Veux-tu tester tes connaisssances sur la fécondation ?

Bien sûr tu sais que pour fabriquer un enfant, il faut un ovule et un spermatozoïde. Ils se rencontrent lors de la fécondation. Mais à quoi servent-ils ?
Choisis parmi ces explications, ceux qui te semblent le plus proches de la réalité.

Cas 1.
Avant la fécondation, l’ovule contient un embryon (petit bébé). Lors de la fécondation, les spermatozoïdes vont exciter l’embryon qui commence à se développer.

Cas 2.
Le spermatozoïde contient un embryon (petit bébé). Lors de la fécondation, le spermatozoïde entre dans la poche de l’ovule. Le petit bébé commence à se développer.

Cas 3.
L’ovule et le spermatozoïde se rencontrent. Ils forment un oeuf contenant un noyau de fécondation. Cet oeuf se divise en 2 puis en 4, 8, etc. pour former l’embryon.

Cas 4.
Plusieurs spermatozoïdes pénètrent dans la poche de l’ovule. Ils apportent chacun une partie de l’enfant, l’un le foie, l’autre le cerveau, l’autre le rein, etc...Ils se regroupent pour former l’enfant.

Cas 5.
L’ovule comporte une graine : un germe intérieur d’embryon. Dès que le spermatozoïde pénètre, l’embryon se forme et se développe.

Réponse
Tous ces schémas correspondent à des idées proposées par des chercheurs des siècles passés. On les trouve aussi chez des enfants ou des adultes lors de questionnaires réalisés dans différents pays d’Europe et d’Amérique du Nord.
Les schémas 1 et 5 correspondent à des idées dites “préformistes femelles”. Tu penses sans doute que l’embryon est plus ou moins préfabriqué par la mère dans l’ovule. Les spermatozoïdes ne servent qu’à “réveiller” l’enfant qui se développe aussitôt.
Les schémas 2 et 4 correspondent à des idées dites “préformistes mâles”. Tu penses que l’embryon est préfabriqué par la père dans un ou plusieurs spermatozoïdes. L’ovule joue sans doute pour toi le rôle d’une couveuse . Il permet à l’embryon de se protéger et de se développer.
Si tu as choisi l’un d’entre eux, tu te trompes. Tous ces schémas sont  plus au moins éloignés de l’explication actuelle.
Seul le cas 3 est proche de celle-ci. L’ovule et le spermatozoïde contiennent chacun dans leur noyau une partie de l’information provenant des parents. Malgré leur différence de taille et de forme, ils jouent un rôle complémentaire.
Lors de la fécondation, leur noyau fusionne : ils mettent en commun  l’information génétique. Elle contient tous les ordres pour fabriquer le corps de l’enfant. Pour cela, l’oeuf va commencer par se diviser de nombreuses fois. Progressivement, les cellules produites se spécialisent pour donner les différents organes.


(1)  Solutions :
52 avant Jésus Christ : Bataille d’Alésia, Jules césar y défait les Gaulois.
736, Charles Martel arrête l’expansion des Arabes à la Bataille de Poitiers.
1515, François 1er  annexe Milan et sa région, après la victoire de Marignan.
1789, début de Révolution française.

(2)  En fait, l’histoire est un peu plus compliquée que cela. Les observations de Leeuwenhoek lui ont été soufflées par un étudiant de Dantzig -aujourd’hui en Allemagne- appelé Louis de Hamm. Ce dernier, dès 1675, avait observé différents spermes. Il faut bien être étudiant pour penser à ça. Puis, il avait écrit à Leeuwenhoek qui avait déjà une certaine notoriété chez les fanas du microscope, les micrographes !
Tu vois à quoi tiens la gloire ! Tous les livres ne parlent plus que de Leeuwenhoek parce qu’il  avait un meilleur service de presse !
Il y a un autre micrographe de l’époque, Hartsoeker, qui conteste la priorité des deux autres. Il a proclamé toute sa vie, qu’il aurait observé des spermatozoïdes dès 1674 ; mais qu’une “pudeur exagérée l’avait empêché de révéler cette observation” !

(3) Déjà les égyptiens avaient mis au point des préservatifs. Dans un papyrus retrouvé à Kahoun on peut y lire qu’en 1850 avant JC., les femmes utilisaient un mélange de papyrus broyé, de miel, de sels de sodium et d’excrément de crocodile.Un autre indique qu’en 1250 avant JC., les hommes utilisent des  vessies de chèvre.

(4) Buffon pense toujours au XVIIIeme siècle que l’enfant est le mélange de deux liquides. Il a une théorie qui repose sur des molécules organiques , sorte d’éléments de base du vivant.
En mangeant, un enfant absorbe des molécules organiques, c’est ce qui fait grandir. A la puberté, la croissance est terminée. Les molécules en trop sont collectées par les testicules -les femmes ont aussi pour lui des testicules- et servent à fabriquer la semence. Ces molécules gardent en souvenir l’empreinte de l’organe d’où elles viennent. C’est comme cela qu’elles vont constituer un rein ou un foie chez l’enfant.
Et les spermatozoïdes dans tout cela ? Il servent à mélanger les deux semences grâce à leur flagelle. Pour que tout fonctionne harmonieusement, il pense que le sperme de la femelle contient aussi des spermatozoïdes. Et il va finir par les observer ! Comment a-t-il pu se tromper ?