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Au-delà
des apparences
La bagnole et les Français
88 % des Français souhaitent une baisse des taxes sur les carburants
(sondage Sofres Libération du 18/9/2000). Sur un tel sujet, l'unanimité
est presque de rigueur; les barrières gauche-droite n'existent
plus, en témoignent les 76 % d'électeurs de gauche qui trouvent
les TIPP, ces taxes sur l'essence ou le gas-oil, trop élevées.
Plus surprenant, ce sondage montre que plus d'un non-propriétaire
de voiture sur deux se retrouve dans le camp des défenseurs de
la bagnole. Et parmi ceux-ci, les jeunes sont les plus virulents.
Plus surprenant encore : 76 % d'électeurs de tendance écologiste
sont du même avis ! Ces Français de sensibilité "verte"
soutiennent eux aussi l'idée selon laquelle l'essence et la voiture
sont des produits de première nécessité qu'on ne
saurait pénaliser...
L'image idéalisée de la voiture comme symbole de liberté
et d'autonomie a la dent dure. Néanmoins, face à un problème
qui touche nombre de places de travail et met en péril plusieurs
petites et moyennes entreprises, les seuls discours écologistes
ou même économistes ne peuvent suffire. Pour ouvrir le débat,
rappelons certains points.
La voiture, c'est plus de 8000 morts par an, rien que pour la France,
sans compter les 200 000 blessés. Sur le plan européen,
il faut bien se mettre dans la tête que la voiture a occasionné
plus de pertes que les deux dernières guerres mondiales réunies
! Ces scores ne comptabilisent que les morts liées directement
aux accidents.
Mais la voiture est plus pernicieuse, puisqu'il faut lui rajouter des
pollutions de tout ordre : plus de 6 millions de tonnes d'oxydes de carbone.
Pas négligeable pour l'effet de serre! Plus d'un million de tonnes
d'oxydes d'azote, 100 000 tonnes d'oxyde de soufre et plus d'un million
de tonnes d'hydrocarbures qui partent dans l'air, en plus de celles déversées
par les pétroliers qui s'échouent sur nos côtes.
Nos voitures - notamment toutes celles qui roulent au gasoil - et nos
camions génèrent beaucoup de poussières, souvent
cancérigènes. Par kilomètre d'autoroute, on en récupère
73 tonnes par an, contenant rien de moins que 96 kilos de plomb, 54 kilos
de zinc et 300 grammes d'amiante... La voiture, c'est aussi des décharges
de déchets.
Chaque année, plus de 2 millions de carcasses partent à
la casse occasionnant la récupération d'un million de tonnes
de métaux ferreux et de 7 millions de tonnes de pneus ; et chaque
fabrication de voiture génère 450 kilos de déchets
en tout genre.
La voiture, c'est encore le bruit. Plus de 300 000 logements sont exposés
à plus de 70 décibels ! Ajoutons le temps perdu dans les
embouteillages, le sel déversé l'hiver et qui part dans
les rivières, la stérilisation d'espace, la pollution esthétique
due au bétonnage des infrastructures qui lui sont nécessaires,
les actions sur la faune et la flore directement liées au cloisonnement
ou au remembrement, etc.
Si on se limite au seul bilan comptable - par euphémisme (!) parce
que chaque mort ou chaque handicapé de la route est un drame pour
la famille, mais aussi pour la nation - on constate un déficit
global de l'ordre de... 150 milliards de francs par an, entre les recettes
de la route (TIPP, TVA, péages) et son coût (accidents, pollution,
bruit). Presque autant que la TIPP qui ne rapporte actuellement que 170
milliards de francs.
Si l'on cherche à aller dans le détail, c'est pire. Selon
le rapport « Pour une politique soutenable des transports »,
chaque passage d'un camion en transit du nord au sud de la France coûte
1800 francs à la collectivité. La Suisse et l'Autriche l'ont
compris depuis longtemps : elles taxent les camions au passage.
Sous la pression du lobby routier et la méconnaissance dans laquelle
le grand public est laissé, la France continue à favoriser
ce transit sur son territoire. Plus de 85 % des marchandises sont acheminées
par la route ! Si on ajoute le coût encore inestimé des dégâts
environnementaux, le prix à payer est très cher pour le
règne de la seule bagnole et du tout camion...
Peut-on toujours prétendre après cela que la taxe sur les
carburants est trop importante ? Il nous faut raisonner globalement et
à long terme, pas le nez sur son volant ! Les évidences
sont trompeuses. La route coûte plus à l'État - et
donc à chacun d'entre nous - qu'elle ne lui rapporte... Et cela
sans compter les investissements routiers!
Une véritable politique des transports à l'échelle
européenne reste à construire. Et cela d'autant plus que
l'on souhaite voir nos morts de la route régresser ou tenir nos
engagements de réduction des rejets de gaz à effet de serre.
Une telle politique ne se mettra pas en place en un jour... Dans l'état
actuel de la désorganisation des transports publics dans nombre
de régions, et particulièrement en milieu rural, se déplacer
en automobile restera quelques années encore une nécessité,
voire une obligation.
De même, la hausse des carburants pour les professionnels, notamment
pour les petites entreprises qui ne peuvent jouer sur les volumes achetés
pour négocier avec les compagnies pétrolières, doit
être limitée.
Mais sur le long terme, il faudra bien programmer et accompagner une évolution
qui est inéluctable : un renchérissement du coût de
la route. Pour changer les comportements, c'est en amont qu'il faut prendre
des décisions. Une politique favorisant les transports en commun,
le rail ou les véhicules propres est à discuter et à
mettre en place au plus vite. Mais elle ne se fera réellement que
si les populations en comprennent le pourquoi et si elles participent
au choix. Au passage, n'oublions pas que les bénéfices de
TotalFinaElf en 1999 ont bondi de 94 % ! On pourrait faire contribuer
les compagnies pétrolières sur leurs marges de production,
qui sont considérables, à des fonds de prévention...
[AG]
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