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 Au-delà 
        des apparences : la vache folle 
          
      Après 
        l'épidémie du SIDA qui nous renvoyait à tous les 
        fantasmes du sexe, nous voici confrontés à la "vache 
        folle" qui nous interpelle sur un autre de nos tabous, encore plus 
        délicat : la bouffe. Cette crise, bien plus que ces vaches, n 'illustre-t-elle 
        pas le degré de folie atteint par notre société ? 
        C'est ce que nous nous proposons de déterminer dans cet article 
        publié en plusieurs parties.  
        Comme il est hors de question d'être pessimiste ou désespéré, 
        l'enjeu n'est-il pas de combler dare-dare le décalage entre les 
        problèmes auxquels notre société est confrontée 
        et les faiblesses de notre culture, plus propre à disserter qu'à 
        affronter les questions de notre temps... Jusqu'à présent, 
        il faut être clair, la société, à commencer 
        par nos décideurs et nos experts, n'a pas vraiment cherché 
        à aborder le fond des problèmes. Tout au plus, pendant que 
        les scientifiques se faisaient tout petits, nos gouvernants se sont-ils 
        attachés à gérer la crise, d'abord pour la nier, 
        puis la minimiser et, aujourd'hui, pour tenter de l'éluder en imposant 
        quelques mesures urgentes, propres à rassurer le chaland en attendant 
        qu'on passe à un autre sujet de préoccupation. 
        Pourtant, ce sont là des questions vitales. Certes complexes, comme 
        tous les problèmes de vie, et aux enjeux multiples. Aucune chance 
        de les approcher par une vision réductrice, et fort peu de s'en 
        « tirer » par quelques pirouettes simples. 
        Cette crise dite « de la vache folle » est un bel exemple 
        pour comprendre les processus dans lesquels s'enferre notre société. 
        Chaque fois, les solutions avancées, parce que ponctuelles et superficielles, 
        se sont révélées plus graves que les problèmes 
        qu'elles prétendaient résoudre. 
        Comme ce n'est pas et de loin la seule situation actuelle où il 
        nous faut réagir en prenant appui sur nos incertitudes, le cas 
        de cette pathologie mérite qu'on s'y attarde. Bien sûr... 
        pour tenter d'éviter « au mieux » ce nouveau fléau, 
        mais d'abord pour dégager quelques processus pertinents personnels 
        et sociaux en matière de choix... quand on ne maîtrise pas 
        tout. 
        Mais d'abord, faisons le point. Après plus de quinze ans de tergiversations 
        et de masquages en tout genre, un certain nombre de conclusions peuvent 
        être tirées sur « la maladie de la vache folle » 
        ou, pour faire plus scientifique, l'ESB, l'Encéphalite Spongiforme 
        Bovine. 
        Malheureusement, malgré ces avancées scientifiques indéniables, 
        les inconnues restent encore et toujours plus nombreuses. Rien d'étonnant, 
        les avis en matière de prévention ou sur les moyens de combattre 
        cette maladie sont d'autant plus nombreux, changeants et contradictoires 
        que les connaissances scientifico-techniques avérées restent 
        toujours très limitées, voire bancales. La seule certitude 
        qu'il nous reste donc à nous mettre sous la dent, c'est la très 
        large étendue de notre ignorance ! 
        Tout d'abord, le choix du nom de cette maladie, ou du moins de celui qui 
        a fini par s'imposer, est une énigme : « vache folle », 
        « Mad cow » en anglais. Le rapprochement de ces deux mots 
        « vache » et « folle », qu'aucun linguiste n'aurait 
        su imposer, est impropre ou, plus exactement, traduit un raccourci... 
        Ce qui fait peur, ce n'est pas l'épizootie qui s'étend aux 
        troupeaux bovins, mais la forme humaine de cette maladie. 
        Il vaudrait mieux parler de « maladie de Creutzfeldt-Jakob liée 
        au prion bovin ». La maladie de Creutzfeldt-Jakob est une pathologie 
        ancienne, bien connue, décrite successivement par les docteurs 
        Creutzfeldt puis Jakob, dans les années 20. Il s'agit d'une sorte 
        de démence sénile se distinguant des autres démences 
        séniles, type Altzheimer, par une évolution extrêmement 
        dramatique et rapide. Dès que les premiers symptômes cliniques 
        apparaissent, l'évolution de la maladie est immédiate. Elle 
        se caractérise par des troubles de la coordination des mouvements, 
        des tremblements et des spasmes respiratoires. 
        Ces dysfonctionnements sont directement liés à la disparition 
        de cellules nerveuses dans le cerveau. A l'autopsie, on y détecte 
        toujours des cavités, sortes de « trous », qui donnent 
        au tissu cérébral l'aspect d'une éponge. 
        La « maladie de Creutzfeldt-Jakob liée au prion bovin » 
        est un des quatre types possibles de ces pathologies dite de « Creutzfeldt-Jakob 
        ». On les suppose transmissibles, sans être contagieuses, 
        de longue incubation mais à développement rapide dès 
        qu'elles se déclarent. Quelques spécificités de la 
        « maladie de Creutzfeldt-Jakob liée au prion bovin » 
        sont cependant connues : les premiers symptôme sont plutôt 
        psychiatriques. Le comportement de l'individu se dégrade, une dépression 
        s'installe. Puis apparaissent des troubles de la mémoire suivis 
        de douleurs intenses dans les jambes. Viennent ensuite des troubles de 
        l'équilibre, des raideurs et, enfin, une détérioration 
        intellectuelle sérieuse et une démence qui conduit rapidement 
        à la mort. [André Giordan] 
      Au-delà 
        des apparences : la vache folle, second épisode 
        Sur le plan de son déterminisme, l'ESB reste également une 
        énigme. Elle rompt deux grands dogmes biologiques. D'une part, 
        le « microbe » responsable de la maladie, le fameux prion 
        ou « proteinaceus infectious particle », est une molécule 
        « inerte », une banale molécule organique, une vulgaire 
        protéine sans code génétique. 
        D'autre part, ce supposé germe franchit la barrière... infranchissable 
        de l'espèce. En effet, jusqu'à présent, les bactéries, 
        virus et autres parasites se révélaient comme spécialement 
        « adaptés » à une espèce animale unique, 
        ce qui nous simplifiait bien la vie ! 
        De plus, la protéine à l'origine de l'agent infectieux réside 
        normalement dans le cerveau de toutes les espèces animales, sous 
        une forme inoffensive aux contours différents. Du reste, on ignore 
        totalement quelle fonction elle peut bien remplir sur les cellules où 
        elles se trouvent ! Or, lorsqu'une protéine dite « anormale 
        », vecteur de la maladie, pénètre dans un organisme, 
        elle est capable de transmettre à ses « semblables » 
        un message les transformant. Les protéines qui étaient saines 
        jusque-là changent de configurations, et les voilà comme 
        de « quasi-virus », capables de réplication. 
        Et ce n'est pas tout! Cette « créature moléculaire 
        » bizarre possède d'autres propriétés inquiétantes. 
        Par exemple, nous savons qu'elle est beaucoup plus résistante qu'un 
        virus ou qu'une bactérie. Elle résiste fortement à 
        la chaleur, aux radiations, et même à la plupart des désinfectants. 
        Aussi dangereuse que discrète, elle ne provoque aucune réaction 
        de défense dans l'organisme où elle s'installe. C'est pourquoi 
        il est très difficile de mettre au point des tests pour détecter 
        sa présence. On ne la reconnaît vraiment que par les symptômes 
        qu'elle provoque. Autrement dit, lorsqu'on découvre que le prion 
        est installé, c'est déjà trop tard. 
        Pour la petite histoire, l'idée même du prion apparaissait 
        comme une supposition un peu « folle ». Née dans l'imagination 
        fertile d'un biologiste américain, Stanley Prusiner, en 1982, elle 
        n'est présentée que comme une simple hypothèse de 
        travail. Accueillie par une vague de scepticisme pour ne pas dire d'indifférence 
        de la part de ses confrères, cette « idée » 
        s'est pourtant vu confirmée...et a déjà valu à 
        son inventeur le prix Nobel. 
        Il est également certain que le prion est capable de passer d'une 
        espèce à l'autre, et notamment de l'animal à l'homme. 
        En effet, on sait aujourd'hui que l'essor de l'ESB est dû à 
        l'alimentation des bovins par des farines fabriquées à partir 
        de cadavres d'animaux malades, des moutons à l'origine. Car tout 
        commence avec la « tremblante du mouton », version ovine de 
        la « vache folle », connue depuis plus de deux siècles, 
        mais qui n'a jamais eu de conséquences néfastes (connues) 
        sur l'homme. Mais on sait aussi que sa transmission à l'homme passe 
        par le même circuit, puisque c'est par l'ingestion de viande de 
        bovin (donc de cadavres) par ce dernier que la maladie lui parvient.  
        Enfin, il est également établi que le procédé 
        de fabrication de ces farines, modifié au cours de cette période, 
        est responsable de la contamination des bovins. Leur chauffage a été 
        réduit, empêchant l'élimination complète de 
        ces sacrés responsables de la tremblante, les prions. A partir 
        de 1988, ces farines sont progressivement retirées du marché, 
        notamment en Grande Bretagne. Mais l'écoulement des stocks et le 
        retard pris par certains états (dont la France) pour les interdire 
        expliquent la propagation de la maladie. 
        Mais les quelques « conclusions » s'arrêtent là... 
        et une foule de questions se posent alors, des interrogations à 
        rendre fou, cette fois, scientifiques et médecins. La science nous 
        en dit suffisamment pour nous inquiéter, pas assez pour permettre 
        de comprendre les risques et les moyens d'y remédier. [André 
        Giordan] 
      Au-delà 
        des apparences : la vache folle (troisième épisode) 
        Les quelques réponses qu'apportent les scientifiques sur l'ESB 
        (voir le PB de lundi dernier) sont sans commune mesure avec les interrogations 
        et les questionnements que suscite la « maladie de Creutzfeldt-Jakob 
        liée au prion bovin ».  
        Côté bétail d'abord. Comment se diffuse la maladie 
        ? Certes, il y a les « fameuses » farines (qui ont enrichi 
        nombre d'industriels, d'exportateurs et de producteurs, ne l'oublions 
        pas...) Mais plusieurs vaches, en France et en Suisse, ont été 
        malades alors qu'elles n'avaient jamais mangé que de l'herbe et 
        des tourteaux. Y a-t-il eu tricherie de la part des professionnels ? Ont-elles 
        été contaminées par leur mère ? Ou existerait-t-il 
        une autre voie de contamination ? Par le sol, par exemple ? Hypothèse 
        avancée de plus en plus souvent... 
        Autre question : si des vaches sont contaminées par le prion sans 
        toutefois manifester les symptômes de la maladie, leur viande, leurs 
        abats sont-ils contaminants ? Et quels organes, plus précisément, 
        sont à risques ? L'état actuel des connaissances ne conduit 
        à aucune certitude. Au mieux peut-on mettre à jour une échelle 
        des risques, selon les morceaux consommés. Du risque quasiment 
        nul : les muscles et encore quand ils ne contiennent pas trop de nerfs 
        ! à un potentiel très important : la cervelle. 
        - Muscles (viande rouge), lait, reins, coeur : risque quasi nul. 
        - Foie : risque potentiel très faible 
        - Poumons : risque potentiel faible 
        - Encéphale, thymus (ris de veau), rate, intestins : risque potentiel 
        important 
        - Moelle épinière (à ne pas confondre avec la moelle 
        des os) : risque potentiel très important. 
        Quant au sang, on s'interroge. Une publication d'une équipe britannique 
        a semé le doute en montrant que l'ESB « peut être transmise 
        par transfusion chez le mouton ». 
        Notre connaissance de l'ampleur réelle de la diffusion de l'ESB 
        est tellement partielle que les scientifiques n'osent plus rien dire sur 
        la consommation des autres viandes, celles d'agneau, de porc, de volaille 
        (la viande blanche) ou encore des poissons d'élevage, nourris aux 
        mêmes farines. Sont-elles réellement sans danger ? Mais comment 
        peut-on se rendre compte qu'un poisson est devenu « fou » 
        ? Par ailleurs, comme on les tue très jeunes, ne peuvent-ils pas 
        être porteurs du prion sans avoir encore manifesté la maladie 
        ? Et s'ils sont porteurs, ne peuvent-ils être contaminants ?  
        Pour le moment, toutes ces questions restent sans réponse. Dès 
        lors, n'est-on pas en train de répéter, en se réfugiant 
        vers ces « autres » viandes les erreurs qui ont permis à 
        l'ESB de se développer de façon inquiétante chez 
        les bovins ? 
        Les chats, nourris aux « boîtes » contenant ces farines, 
        ne seraient-ils pas déjà atteints d'une épidémie 
        semblable ? Tout comme semblent l'être les cerfs et les élans 
        du Wyoming et du Colorado atteints d'une affection comparable, appelée 
        la maladie du dépérissement chronique. Et la tremblante 
        du mouton ne masquerait-elle pas l'ESB chez ce dernier ? 
        Côté humain, on dit que l'incubation est très longue. 
        Les neurologues avancent un laps de temps de dix à vingt ans, ce 
        qui n'est pas rassurant... si on a mangé beaucoup de viande ou 
        si on appréciait les abats antérieurement. Paradoxalement, 
        parmi les victimes de la maladie, il y a actuellement beaucoup de jeunes... 
        Faut-il voir les prions dans le lait en poudre ou les petits pots de bébé, 
        ou bien le temps d'incubation aurait-il été surévalué 
        ? A moins que ce ne soit les deux à la fois... 
        Et puis quelle quantité de boeuf faut-il ingérer pour être 
        malade ? Quelques bouchée suffisent-elles ou faut-il être 
        gros amateur de steaks saignants ? Certains malades s'avouent grands carnivores, 
        d'autres pas. Cela veut-il dire que des facteurs extérieurs pourraient 
        être aggravants ? Y aurait-il une prédisposition génétique 
        ? Une des victimes s'affirme végétarienne. Cela signifierait-il 
        que le prion pourrait se propager par des sous-produits bovins, comme 
        la gélatine employée dans des préparations végétariennes 
        ? Ou l'épidémie aurait-elle d'autres causes, aujourd'hui 
        encore totalement insoupçonnées ? 
        Bien sûr, la solution serait le test. Mais rien n'est encore vraiment 
        sûr. Les tests traditionnels prennent deux ans ce qui n'est pas 
        opératoire et parmi les trois nouveaux tests mis sur le marché 
        aucun n'apparaît vraiment fiable, ni précis ... si ce n'est 
        leur prix ! 
        La difficulté réside dans le fait qu'il ne s'agit plus de 
        dépister la présence ou l'absence d'un produit pathogène. 
        Le prion est une forme anormale d'une protéine banale, présente 
        à la surface de toutes les cellules. Il s'agit donc de mettre au 
        point une substance capable de déceler une différence de 
        structure spatiale. Les tests actuels ne permettent donc de déceler 
        la maladie que quand elle est bien déclarée, c'est-à-dire 
        en phase terminale. Ils ne permettent pas de déceler les prions 
        chez des sujets apparemment sains. 
        Face à cet océan d'incertitudes, qui est responsable dans 
        cette affaire ? Les fabricants de farine (et en leur sein : le directeur, 
        le service recherche, le service économique) ? Les exportateurs 
        ? Les éleveurs ? Les conseillers agricoles ? Les publicitaires 
        ? La « filière bovine » dans son ensemble ? Les chercheurs 
        qui ne se sont bousculés sur le sujet ? Les administrations nationales 
        qui n'ont pas effectué les contrôles ? Les consommateurs 
        pour ne pas s'être suffisamment organisés pour contrôler 
        le marché ? Les politiques britanniques ? Celles des divers pays 
        européens ? La Commission européenne ? Les financiers et 
        le système économique basé sur le Marché ? 
        Ou plus simplement, le manque de chance ? 
        Et, aujourd'hui, dans les conditions actuelles, que faire au quotidien 
        ? Quelle peut être une décision rationnelle sur le plan personnel 
        ? Peut-on encore manger « raisonnablement » de la viande ? 
        Et si oui, quelle viande et quel morceau peut-on se permettre de manger 
        ? Ou bien faut-il radicalement changer nos pratiques culinaro-culturelles 
        ? 
        Quant aux gouvernements, que doivent-il décider pour s'attaquer 
        vraiment au problème, et pas seulement tenter de donner confiance 
        ? Que veut dire ici l' « usage du principe de précaution 
        » ? 
        Affaire à suivre, donc. Nous reviendrons sur cette question la 
        semaine prochaine. D'ici-là, nous attendons vos réactions 
        et, surtout, vos propositions, à la lumière de notre question 
        : que faire sur un plan personnel et sur un plan social ? [André 
        Giordan] 
       
        Au-delà des apparences : Vache folle (quatrième épisode). 
        Alors que faire avec cette « vache » devenue « folle 
        » ? Telle était la question que nous vous posions le jeudi 
        14 décembre. Pour vous permettre de continuer à réagir, 
        grâce au Petit Bouquet, nous vous proposons un document inédit 
        : une étude originale, non encore publiée, réalisée 
        par notre laboratoire, sur des comportements alimentaires à la 
        consommation du boeuf. Comment chaque individu, en tant que consommateur, 
        s'est-il approprié les informations sur cette épizootie 
        ? Et qu'en a-t-il fait dans leur vie quotidienne ? Plus simplement, mange-t-on 
        ou ne mange-t-on plus de la vache? 
        Cette enquête est de type qualitatif. Nous n'avons pas cherché 
        à travailler sur un échantillon représentatif de 
        la population (d'ailleurs, laquelle ? Mais là n'est pas la question 
        du jour), le projet était plutôt de « creuser » 
        des comportements intimes. Pour cela, cette étude s'est déroulée 
        en Suisse et en France, d'octobre à décembre 1997, soit 
        de 7 à 9 mois après le « grand battage » médiatique 
        de la première crise de 1996. Nous avons repris cette étude 
        la semaine dernière, soit deux semaines après la nouvelle 
        poussée de fièvre médiatique. 
        Pour connaître ces comportements, nous sommes partis de questionnaires. 
        Des interviews ont permis à chacun de préciser sa position 
        ou ses choix. Le point de départ était la question suivante: 
        « Avez-vous modifié vos pratiques alimentaires en matière 
        de viande ? Si oui, pourquoi ? Quels sont les arguments qui vous ont convaincu 
        ? Si non, quels sont les arguments qui vous ont convaincu de ne pas changer 
        ? ». D'autres questions portaient sur les pratiques alimentaires 
        et leur évolution, ainsi que sur la manière dont l'information 
        leur était parvenue, et l'intérêt que ces personnes 
        lui avaient accordées. 
        Cette enquête confirme que l'impact médiatique est très 
        grand. Contrairement à nombre d'autres informations, tout le monde 
        se sent concerné. 100% des personnes interrogées, y compris 
        les plus jeunes, ont entendu parler de « vache folle » et 
        font un lien direct à quelques confusions près sur la dénomination 
        et l'orthographe entre l'ESB et la variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob 
        liée au prion bovin. Deux sources d'information sont citées 
        en premier : la télévision et les journaux. Viennent ensuite 
        l'entourage, la radio, le médecin, le vétérinaire, 
        le pharmacien. Toutefois, malgré l'intérêt très 
        fort sur le sujet, le changement de comportement alimentaire reste très 
        limité. Lors de la crise de 1996, moins de 8% des personnes interrogées 
        ont changé d'habitude, c'est-à-dire qu'elles « ne 
        mangent plus de viande ». Parmi ces dernières, certaines 
        tolèrent néanmoins que « leurs enfants mangent de 
        temps à autre au MacDonald ». Toujours à cette période, 
        plus de 70% ont modifié leur pratique durant 2, 3 ou 4 semaines, 
        « le temps du choc », puis sont revenues à leurs « 
        habitudes antérieures ». 
        Parmi les individus qui ont maintenu la consommation de viande, les arguments 
        les plus souvent avancés sont : 
        - le plaisir : « Parce que j'aime ça », 
        - l'habitude : « J'ai toujours mangé de la viande », 
        - l'équilibre alimentaire : « Parce que je ne peux faire 
        autrement, c'est une question d'équilibre pour ma santé 
        », « C'est plus difficile de régler son alimentation 
        sans viande », 
        - le manque d'arguments convaincants « pour changer » : « 
        Il n'y a pas de preuves tangibles », « Relation dangereuse 
        non établie », « Tout cela reste flou », 
        - une faible probabilité du risque : « La probabilité 
        (de la maladie), le risque est faible », 
        - un certain fatalisme : « De toute façon toute la nourriture 
        est contaminée », « Bien d'autres choses sont nocives 
        », « S'il fallait tout éviter, on ne mangerait plus 
        rien », « Le mal est déjà fait », « 
        ce n'est que le début d'une catastrophe », « Parce 
        que de toute façon j'en ai déjà mangé... et 
        comme cette maladie a un temps de latence de 15-20 ans, c'est trop tard 
        », 
        - les économies : « Parce ce que les prix ont diminué 
        », 
        - la confiance aux professionnels : « Je fais confiance à 
        mon boucher ». Un type d'argument est avancé uniquement en 
        Suisse, « la confiance aux systèmes de contrôle ». 
        Dans cette Confédération, de nombreux individus expriment 
        une certaine confiance au « vétérinaire cantonal », 
        pas en France. 
        A travers les interviews, il se confirme encore que le boeuf est profondément 
        ancré dans la culture: « nos goûts, nos habitudes tournent 
        autour de la viande, difficile de s'en passer ». Par ailleurs, une 
        certaine balance entre le risque et le plaisir que l'on prend à 
        manger est souvent mis en avant. « Je prends le risque parce que 
        j'aime le boeuf, c'est une question de rapport risque-plaisir ». 
        Au mieux, un certain nombre de précautions sont introduites en 
        ce qui concerne la manière de consommer ou les morceaux choisis, 
        ainsi que la fréquence ou la quantité de viande ingurgitée. 
        « Je mange de la viande, à condition que ce ne soit pas des 
        abats ». « J'évite la cervelle et la moelle épinière 
        » on constate d'ailleurs une confusion fréquente entre cette 
        dernière et la moelle osseuse « plus de steak tartare », 
        « je mange moins souvent de la viande », etc. 
        Ces précautions sont plus présentes dans cette nouvelle 
        crise. L'origine de la viande est plus souvent vérifiée, 
        « Si je suis sûr de la provenance », « Je n'en 
        mange plus au restaurant ». Les Français évitent le 
        boeuf anglais, les Suisses, toutes viandes étrangères. La 
        viande hachée ainsi que les hamburgers sont plus souvent suspectés. 
        Un certain nombre de personnes ont substitué à la viande 
        de boeuf d'autres types de viande: « je ne mange plus que la viande 
        blanche », « du poulet ». Personne cependant n'a supprimé 
        le lait et les produits laitiers. Les produits dérivés (saucisses, 
        merguez) qui pourtant comportent encore trop souvent de la cervelle ou 
        transformés (lasagnes, sauce bolognaise,..) sont peu souvent suspectés, 
        de même que les autres préparations à base de gélatine. 
        Pour ceux qui ont changé leur pratique alimentaire, les arguments 
        avancés sont, avant tout, liés au principe de précaution. 
        « Je ne veux pas prendre aucun risque », « Dès 
        qu'il y a un doute je m'abstiens », « Je ne veux pas me faire 
        avoir une fois de plus ». Mais le dégoût apparaît 
        également. « Quand on sait ce que mangent les vaches », 
        « Quand on pense à ce qu'on leur donne à manger », 
        ainsi que des raisons éthiques : « Pour des raisons éthiques 
        : je ne veux pas cautionner ce type de production », « Je 
        ne veux plus jouer le jeu de cette société de consommation 
        qui ne pense qu'à se faire du fric ». De plus, nombre d'individus 
        sont abstinents dans l'attente d'informations supplémentaires ou 
        d'informations fiables. « J'attends des certitudes », « 
        Je n'ai aucun élément de contrôle sur les informations 
        », « J'attends que les scientifiques en sachent un peu plus 
        ». Il est intéressant de noter que les mêmes arguments 
        « On n'en sait trop rien », « Il y a trop de choses 
        incertaines » conduisent à des positions opposées, 
        c'est-à-dire, « Je mange » ou au contraire « 
        Je ne mange plus ». 
        L'angoisse ne vient pas, comme on le croit communément, de la connaissance 
        des effets désastreux possibles, mais, d'une part, de la parodie 
        de mesures ou de demi-mesures adoptées par les politiques et, d'autre 
        part, des propos « alambiqués » des scientifiques. 
        D'une manière générale, l'information est jugée 
        « peu claire », ne permettant pas « de comprendre tous 
        les tenants et les aboutissants ». Une certaine méfiance 
        apparaît également à travers des « on ne nous 
        dit pas tout » qui laissent songeur. Des parallèles sont 
        tirés avec la catastrophe de Tchernobyl (« encore tout faux 
        comme pour Tchernobyl »), et l'affaire du sang contaminé 
        (« C'est comme pour le sang contaminé, ils disent qu'ils 
        font, et puis ce n'est pas vrai »). Beaucoup de scepticisme ressort 
        des mesures prises, d'autant plus que certaines décisions sont 
        adoptées après que les décideurs ont nié certains 
        faits ou éléments. Ces dernières sont parfois trouvées 
        trop brutales, comme celle d' « abattre les vaches sans discernement, 
        seulement sur la base de leur date de naissance ». Quelques-uns 
        avancent l'idée de gesticulation: « Il faut bien faire croire 
        que l'on maîtrise quelque chose », « Il faut faire passer 
        la pilule aux consommateurs », « Il faut rassurer le consommateur 
        ». 
        Ces réactions individuelles face à de telles situations 
        controversées nous interpellent. Comment un ensemble d'informations 
        peuvent-elles influencer une prise de décision? Qui croire? Quelle 
        stratégie, à travers toutes celles que nous venons de voir, 
        faut-il privilégier? Faire confiance aux industriels ou aux marchés, 
        ou simplement aux professionnels, comme son boucher, n'apparaît 
        plus défendable. L'économie impose des décisions 
        qui ne visent que le court terme sans se préoccuper des conséquences... 
        Alors, les politiques? Ils apparaissent tout autant dépassés 
        que les simples citoyens. Ils oscillent entre une politique de l'autruche 
        et une application stricte du principe de précaution. Faut-il croire 
        aux dépistages, aux tests ? Ou la traçabilité est-elle 
        la dernière solution ? Faut-il souhaiter plus de contrôles 
        ou la mise en place de commissions d'experts, de citoyens, de scientifiques, 
        de philosophes...? [André Giordan] 
        Alors que faire avec cette “vache” devenue “folle” 
        ? Telle était la question que nous vous posions le jeudi 14 décembre. 
        Pour vous permettre de continuer à réagir, grâce au 
        Petit Bouquet, nous vous proposons un document inédit : une étude 
        originale, non encore publiée, réalisée par notre 
        laboratoire, sur des comportements alimentaires liés à la 
        consommation ou non du boeuf...  
        Comment chaque individu, en tant que consommateur, s’est-il approprié 
        les informations sur cette épizootie ? Et qu’en ont-ils fait 
        dans leur vie quotidienne ? Plus simplement, mange-t-il ou ne mange-t-il 
        plus de la vache?  
        Cette enquête est de type qualitatif. Nous n’avons pas cherché 
        à travailler sur un échantillon représentatif de 
        la population (d’ailleurs, laquelle ?.. mais là n’est 
        pas la question du jour...), le projet était plutôt de “creuser” 
        des comportements intimes. Pour cela, cette étude s’est déroulée 
        en Suisse et en France, d’octobre à décembre 1997, 
        soit de 7 à 9 mois après le “grand battage” 
        médiatique de la première crise de 1996. Nous avons repris 
        cette étude la semaine dernière, soit deux semaines après 
        la nouvelle poussée de fièvre médiatique...  
        Pour connaître ces comportements, nous sommes partis de questionnaires. 
        Des interviews ont permis à chacun de préciser sa position 
        ou ses choix. Le point de départ était la question suivante: 
        “Avez-vous modifié vos pratiques alimentaires en matière 
        de viande? Si oui, pourquoi? Quels sont les arguments qui vous ont convaincu? 
        Si non, quels sont les arguments qui vous ont convaincu de ne pas changer 
        ?”. D’autres questions portaient sur les pratiques alimentaires 
        et leur évolution, ainsi que sur la manière dont l’information 
        leur était parvenue, et l’intérêt que ces personnes 
        lui avaient accordées. 
        Cette enquête confirme que l’impact médiatique est 
        très grand. Contrairement à nombre d’autres informations, 
        tout le monde se sent concerné. 100 % des personnes interrogées, 
        y compris les plus jeunes, ont entendu parler de “vache folle” 
        et font un lien direct -à quelques confusions près sur la 
        dénomination et l’orthographe- entre l’ESB et la variante 
        de la maladie de Creutzfeldt-Jakob liée au prion bovin.  
        Deux sources d’information sont citées en premier: la télévision 
        et les journaux. Viennent ensuite l’entourage, la radio, le médecin, 
        le vétérinaire, le pharmacien. Toutefois, malgré 
        l’intérêt très fort sur le sujet, le changement 
        de comportement alimentaire reste très limité. Lors de la 
        crise de 1996, moins de 8 % des personnes interrogées ont changé 
        d’habitude, c’est-à-dire qu’elles “ne mangent 
        plus de viande”. Parmi ces dernières, certaines tolèrent 
        néanmoins que “leurs enfants mangent de temps à autre 
        au MacDonald”. Toujours à cette période, plus de 70 
        % ont modifié leur pratique durant 2, 3 ou 4 semaines, “le 
        temps du choc”, puis sont revenues à leurs “habitudes 
        antérieures”.  
        Parmi les individus qui ont maintenu la consommation de viande, les arguments 
        les plus souvent avancés sont: 
        - le plaisir, “parce que j'aime ça”,  
        - l’habitude, “j’ai toujours mangé de la viande”, 
         
        - l’équilibre alimentaire, “parce que je ne peux faire 
        autrement, c'est une question d'équilibre pour ma santé”, 
        “c’est plus difficile de régler son alimentation sans 
        viande”,  
        - le manque d’arguments convaincants “pour changer”, 
        “il n'y a pas de preuves tangibles”, “relation dangereuse 
        non établie”, “tout cela reste flou”, 
        - une faible probabilité du risque : “la probabilité 
        (de la maladie), le risque est faible” 
        - un certain fatalisme : “de toute façon toute la nourriture 
        est contaminée”, “bien d’autres choses sont nocives”, 
        “s’il fallait tout éviter, on ne mangerait plus rien”, 
        “le mal est déjà fait”, “ce n’est 
        que le début d’une catastrophe”, “parce que de 
        toute façon j'en ai déjà mangé... et comme 
        cette maladie a un temps de latence de 15-20 ans, c'est trop tard”, 
        - les économies : “parce ce que les prix ont diminué”, 
        - la confiance aux professionnels : je fais confiance à mon boucher”. 
        Un type d’argument est avancé uniquement en Suisse, “la 
        confiance aux systèmes de contrôle”. Dans cette Confédération, 
        de nombreux individus expriment une certaine confiance au “vétérinaire 
        cantonal”, pas en France. 
        A travers les interviews, il se confirme encore que le boeuf est profondément 
        ancré dans la culture: “nos goûts, nos habitudes tournent 
        autour de la viande, difficile de s’en passer”. Par ailleurs, 
        une certaine balance entre le risque et le plaisir que l’on prend 
        à manger est souvent mis en avant. “Je prends le risque parce 
        que j'aime le boeuf, c'est une question de rapport risque-plaisir”. 
         
        Au mieux, un certain nombre de précautions sont introduites en 
        ce qui concerne la manière de consommer ou les morceaux choisis, 
        ainsi que la fréquence ou la quantité de viande ingurgitée. 
        “Je mange de la viande, à condition que ce ne soit pas des 
        abats”. “J’évite la cervelle et la moelle épinière” 
        -on constate d’ailleurs une confusion fréquente entre cette 
        dernière et la moelle osseuse- “plus de steak tartare”, 
        “je mange moins souvent de la viande”, etc. 
        Ces précautions sont plus présentes dans cette nouvelle 
        crise. L’origine de la viande est plus souvent vérifiée, 
        “si je suis sûr de la provenance”, “j’en 
        mange plus au restaurant”, les français évitent le 
        boeuf anglais, les suisses, toutes viandes étrangères. La 
        viande hachée ainsi que les hamburgers sont plus souvent suspectés. 
        Un certain nombre de personnes ont substitué à la viande 
        de boeuf d’autres types de viande: “je ne mange plus que la 
        viande blanche”, “du poulet”. Personne cependant n’a 
        supprimé le lait et les produits laitiers. Les produits dérivés 
        (saucisses, merguez) qui pourtant comportent encore trop souvent de la 
        cervelle ou transformés (lasagnes, sauce bolognaise,..) sont peu 
        souvent suspectés, de même que les autres préparations 
        à base de gélatine. 
        Pour ceux qui ont changé leur pratique alimentaire, les arguments 
        avancés sont avant tout liés au principe de précaution. 
        “Je ne veux pas prendre aucun risque”, “dès qu’il 
        y a un doute je m’abstiens”, “ je ne veux pas me faire 
        avoir une fois de plus”. Mais le dégoût apparaît 
        également. “Quand on sait ce que mangent les vaches”, 
        “quand on pense à ce qu’on leur donne à manger”... 
        ainsi que des raisons éthiques : “pour des raisons éthiques 
        : je ne veux pas cautionner ce type de production”, “je ne 
        veux plus jouer le jeu de cette société de consommation 
        qui ne pense qu’à se faire du fric”. 
        De plus, nombre d’individus sont abstinents dans l’attente 
        d’informations supplémentaires ou d’informations fiables. 
        “J'attends des certitudes”, “je n'ai aucun élément 
        de contrôle sur les informations”, “j’attends 
        que les scientifiques en sachent un peu plus”. 
        Il est intéressant de noter que les mêmes arguments -”on 
        n’en sait trop rien”, “il y a trop de choses incertaines”- 
        conduisent à des positions opposées, c’est-à-dire, 
        “je mange” ou au contraire “je ne mange plus”. 
        L’angoisse ne vient pas, comme on le croit communément, de 
        la connaissance des effets désastreux possibles, mais, d’une 
        part, de la parodie de mesures ou de demi-mesures adoptées par 
        les politiques, et d’autre part des propos “alambiqués” 
        des scientifiques. D’une manière générale, 
        l’information est jugée peu “claire”, ne permettant 
        pas “de comprendre tous les tenants et les aboutissants”, 
        une certaine méfiance apparaît également à 
        travers des “on ne nous dit pas tout” qui laissent songeur. 
        Des parallèles sont tirés avec la catastrophe de Tchernobyl, 
        “encore tout faux comme pour Tchernobyl”, et l’affaire 
        du sang contaminé. “C’est comme pour le sang contaminé, 
        ils disent qu’ils font, et puis ce n’est pas vrai”. 
        Beaucoup de scepticisme ressort des mesures prises, d’autant plus 
        que certaines décisions sont prises après avoir nié 
        certains faits ou éléments. Ces dernières sont parfois 
        trouvées trop brutales: “abattre les vaches sans discernement, 
        seulement sur la base de leur date de naissance”. Quelques-uns avancent 
        l’idée de gesticulation: “il faut bien faire croire 
        que l’on maîtrise quelque chose”, “il faut faire 
        passer la pilule aux consommateurs”, “il faut rassurer le 
        consommateur”.  
        Ces réactions individuelles face à de telles situations 
        controversées nous interpellent. Comment un ensemble d’informations 
        peuvent-elles influencer une prise de décision? Qui croire? Quelle 
        stratégie, à travers toutes celles que nous venons de voir, 
        faut-il privilégier? Faire confiance aux industriels ou aux marchés, 
        ou simplement aux professionnels comme son boucher n’apparaît 
        plus défendable. L’économie impose des décisions 
        qui ne visent que le court terme sans se préoccuper des conséquences... 
        Alors, les politiques? Ils apparaissent tout autant dépassés 
        que les simples citoyens... Ils oscillent entre une politique de l’autruche 
        et une application stricte du principe de précaution. Faut-il croire 
        aux dépistages, aux tests?.. Ou la traçabilité est-elle 
        la dernière solution? Faut-il souhaiter plus de contrôles 
        ou la mise en place de commissions d’experts, de citoyens, de scientifiques, 
        de philosophes...?  
        Alors, que peut-on faire ?  
         
      Alors 
        que faire avec cette “vache” devenue folle” ? 
        Telle était la question que nous vous posions le jeudi 14 décembre. 
        Pour vous permettre de continuer à réagir, grâce au 
        Petit Bouquet nous vous proposons un document inédit : une étude 
        originale, non encore publiée, réalisée dans notre 
        laboratoire sur des comportements alimentaires liés à la 
        consommation ou non du boeuf...  
        Comment chaque individu, en tant que consommateur, s’est-il approprié 
        les informations sur cette epizootie ? Et qu’en ont-ils fait dans 
        la vie quotidienne ? Plus simplement, mange-t-il ou ne mange-t-il plus 
        de viande rouge ?..  
        Cette enquête est de type qualitatif, nous n’avons pas cherché 
        à travailler sur un échantillon représentatif de 
        la population (d’ailleurs laquelle ?.. mais là n’est 
        pas la question du jour...), le projet était plutôt de “creuser” 
        des comportements intimes. Pour cela, cette étude s’est déroulée 
        en Suisse et en France, d’octobre à décembre 1997, 
        soit de 7 à 9 mois après le “grand battage” 
        médiatique de la première crise de 1996. Nous avons repris 
        cette étude la semaine dernière, soit deux semaines après 
        la nouvelle poussée de fièvre médiatique...  
        Pour connaître ces comportements, nous sommes partis de questionnaires. 
        Des interviews pour permettre à chacun de préciser sa position 
        ou ses choix. Le point de départ était la question suivante 
        : ... “Avez-vous modifié vos pratiques alimentaires en matière 
        de viande ? OUI / NON. Si oui, pourquoi ? Quels sont les arguments qui 
        vous ont convaincu ? Si non, pourquoi ? Quels sont les arguments qui vous 
        ont convaincu de ne pas changer ?”. D’autres questions portaient 
        sur : “Avez-vous modifié d’autres pratiques alimentaires 
        ?”, “Comment avez-vous été informé ?”, 
        “Continuez-vous à vous informer ?”, “Votre comportement 
        alimentaire a-t-il évolué depuis ?”... 
        Cette enquête confirme que l’impact des informations “vache 
        folle” est très grand. Contrairement à nombre d’autres 
        informations, personne ne reste à l’écart.100 % des 
        personnes interrogées, y compris les plus jeunes, en ont entendu 
        parler et font un lien direct -à quelques réserves près 
        sur la dénomination et l’orthographe- entre l’ESB et 
        la variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob liée au prion bovin. 
         
        Deux sources d’information sont citées en premier : la télévision 
        et les journaux. Viennent ensuite l’entourage, la radio, le médecin, 
        le vétérinaire, le pharmacien. Toutefois, malgré 
        l’intérêt très fort sur le sujet, le changement 
        de comportement alimentaire reste très limité :  
        - lors de la crise de 1996, moins de 8 % des personnes interrogées 
        ont changé d’habitude : c’est à dire “ne 
        mange plus de viande”. Parmi ces personnes, certaines tolèrent 
        que “leurs enfants mangent de temps à autre au MacDonald”. 
         
        - plus de 70 % ont modifié leur pratique durant 2, 3 ou 4 semaines 
        (“le temps du choc”), puis sont revenu à leurs “habitudes 
        antérieures”.  
        Parmi les individus qui ont maintenu la consommation de viande, les arguments 
        les plus souvent avancés sont : 
        - 1. le plaisir : “parce que j'aime ça”,  
        - 2. l’habitude : “j’ai toujours mangé de la 
        viande”,.. 
        - 3. l’équilibre alimentaire, “parce que je ne peux 
        faire autrement, c'est une question d'équilibre alimentaire”, 
        “c’est plus difficile de régler son alimentation sans 
        viande”, 
        - 4. le manque d’arguments convaincants “pour changer” 
        : “il n'y a pas de preuves tangibles”, “relation dangereuse 
        non établie”, “tout cela reste flou” 
        - 5. une faible probabilité du risque : “la probabilité 
        (de la maladie), le risque est faible” 
        - 6. un certain fatalisme : “de toute façon toute la nourriture 
        est contaminée”, “bien d’autres choses sont nocives”, 
        “s’il fallait tout éviter, on ne mangerait plus rien”, 
        “le mal est déjà fait”, “ce n’est 
        que le début d’une catastrophe”, “parce que de 
        toute façon j'en ai déjà mangé... et comme 
        cette maladie a un temps de latence de 15-20 ans c'est trop tard”. 
        7. les économies : “parce ce que les prix ont diminué”. 
        8. la confiance aux professionnels : je fais confiance à mon boucher”. 
        Un type d’argument est uniquement avancé uniquement en Suisse 
        : “la confiance aux système de contrôle”. Dans 
        cette Confédération, de nombreux individus expriment une 
        certaine confiance au “vétérinaire cantonal”, 
        pas en France. 
        A travers les interviews, il se confirme encore que le boeuf est profondément 
        ancré dans la culture européenne : “nos goûts, 
        nos habitudes tournent autour de la viande, difficile de s’en passer”. 
        Par ailleurs, un rapport plaisir-risque est souvent mis en avant : “je 
        prends le risque parce que j'aime le boeuf, c'est une question de rapport 
        risque-plaisir”.  
        Au mieux, un certain nombre de précautions peuvent être introduites 
        : 
        - suppression des abats : “je mange de la viande à condition 
        que ce ne soit pas les abats”, j’évite la cervelle 
        et la moëlle épinière” (On constate une confusion 
        fréquente entre cette dernière et la moëlle osseuse) 
        , 
        - suppression de la viande crue : “plus de steak tartare”, 
        - diminution des quantités ou de la fréquence : “j’en 
        mange moins”, “j’en mange moins souvent” 
        - surveillance des origines : “si je suis sûr de la provenance”, 
        “j’en mange plus au restaurant”. 
        Ces précautions sont plus présentes dans cette nouvelle 
        crise. L’origine de la viande est plus souvent vérifiée, 
        les français évitent le boeuf anglais, les suisses, toutes 
        viandes étrangères. “La viande hachée”, 
        “les hamburgers” sont plus souvent suspectées. 
        De même un nombre de personnes ont substitué d’autres 
        types de viande à la viande de boeuf : “je ne mange plus 
        que la viande blanche”, “de poulet”. Personne cependant 
        n’a supprimé le lait et les produits laitiers. Les produits 
        dérivés (saussisses, merquezs) qui pourtant comportent encore 
        trop souvent de la cervelle ou transformés (lasagnes, sauce bolognaise,..) 
        sont peu souvent suspectées, de même que les autres préparations 
        à base de gélatine. 
        Pour ceux qui ont changé leur pratique alimentaire, les arguments 
        avancés sont : 
        1. le principe de précaution : “je ne veux pas prendre aucun 
        risque”, “dès qu’il y a un doute je m’abstiens”, 
        “ je ne veux pas me faire avoir une fois de plus”, 
        2. le dégoût : “quand on apprend ce que mange les vaches”, 
        “quand on sait ce qu’on leur donne à manger”, 
        3. des raison éthiques : “pour des raisons éthiques 
        : je ne veux pas cautionner ce type de production”, ... 
        4. De plus, nombre d’individus sont abstinents dans l’attente 
        d’informations supplémentaires ou d’informations fiables 
        : “j'attends des certitudes”, “je n'ai aucun élément 
        de contrôle sur les informations”, 
        Il est intéressant de noter que les mêmes arguments (“on 
        n’en sait trop rien”, “il y a trop de choses incertaines,..) 
        conduisent à des positions opposées (“je mange” 
        ou au contraire “je ne mange plus..”)... 
        L’angoisse ne vient pas comme on le croit communément de 
        la connaissance des effets désastreux possibles, mais de la parodie 
        de mesures ou de demi-mesures adoptées par les politiques pour 
        la contrôler d’une part et des propos “alambiqués” 
        des scientifiques. D’une manière générale, 
        l’information est jugée peu “claire” (“risques 
        pas clairs”) sur ce qu’il faut faire. Leurs annonces ne “permettent 
        pas de comprendre tous les tenants et les aboutissants”. Des décisions 
        sont prises après qu’on ait nié certains faits ou 
        éléments. Les repères en la matière sont la 
        catastrophe de Tchernobyl (“encore tout faux comme pour Tchernobyl”) 
        et l’affaire du sang contaminé (“c’est comme 
        pour le sang contaminé, ils disent qu’ils font, et puis ce 
        n’est pas vrai”). Beaucoup de scepticisme ressortent des mesures 
        prises : “on nous dit pas tout”. Ces dernières sont 
        parfois trouvées trop brutales : “abattre les vaches sans 
        discernement, en relation avec la date de naissance”. Quelques uns 
        avancent l’idée de gesticulation : “il faut bien faire 
        croire que l’on maîtrise quelque chose”, “il faut 
        faire passer la pilule aux consommateurs”, “il faut rassurer 
        le consommateur”.  
        Ces réactions individuelles face à de telles situations 
        controversées nous interpellent. Comment un ensemble d’informations 
        peuvent-elles influencer une prise de décision ? En matière 
        de gestion de risque, plusieurs stratégies sont en concurrence 
        : faire confiance aux industriels ou aux marchés, ou simplement 
        aux professionnels comme son boucher ? S’en remettre aux décideurs 
        politiques ou souhaiter la mise en place de commissions d’experts 
        ou des contrôles plus performamts ?  
        La première alternative, seule, n’apparaît plus défendable, 
        l’économie impose des décisions sur le court terme 
        quelqu’en soit les conséquences... Alors les politiques ? 
        Ils apparaissent tout autant dépassés que les simples citoyens... 
        Ils oscillent entre une politique de l’autruche et une application 
        stricte du principe de précaution. Faut-il croire au dépistages, 
        aux tests ?.. Ou la traçabilité est-elle la dernière 
        solution ? 
        Toujours la même question : que peut-on faire ?  
        A suivre... 
         
         
        Faites-nous parvenir vos suggestions... André Giordan vous 
        donnera sa position. 
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