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Il
n'y a pas d'âge pour apprendre
Se mettre au piano, au japonais ou à l’informatique…
Paralysés par leurs émotions, les adultes hésitent
souvent à se lancer dans l’acquisition d’un nouveau
savoir. Dommage. On sait aujourd’hui que le cerveau peut toujours
emmagasiner et que c’est à l’âge mûr que
l’on sait donner du sens à ce que l’on apprend.
L’apprentissage serait le privilège de la jeunesse
? Pas si sûr. Si certaines fonctions cognitives commencent
en effet à diminuer autour de 25-30 ans, 35 pour les plus chanceux,
ce ne sont pas ces facteurs physiologiques qui handicapent le plus les
adultes. « La peur est le principal obstacle à l’apprentissage
des adultes », explique André Giordan, physiologiste et directeur
du Laboratoire de didactique et d’épistémologie de
Genève. « Apprendre est déstabilisant, et nous renvoie
à nos limites, à nos phobies, à nos doutes. Ce n’est
pas le cas dans l’enfance. »
Soumis au diktat de ses émotions et de ses représentations,
l’adulte hésite à se lancer dans l’inconnu.
« Il existe trois niveaux dans l’apprentissage, précise
André Giordan. Le cognitif, ce que je comprends ; le soubassement
émotionnel, ce que je ressens ; et la dimension dite métacognitive,
c’est-à-dire la façon dont je me représente
ce que j’apprends. » Les adultes ont du mal à se lancer
dans de nouvelles initiations, parce qu’ils intellectualisent leur
démarche en se disant que « les mathématiques, c’est
compliqué », que « le ski, c’est dangereux »
ou que « l’eau est un élément contre nature
».
Première étape, donc : dédramatiser. Il s’agit
d’abord d’apprendre à se détendre physiquement,
à réfléchir sur la situation et le sens du danger
pour lâcher prise. Une fois surmontées la peur et l’appréhension,
l’adulte n’a pas, contrairement aux idées reçues,
de plus grandes difficultés de compréhension. « L’idée
qui prévaut, même si on ne l’explique pas très
bien, c’est que la mémoire cognitive ne s’altère
pas », assure Michel Isingrini, spécialiste du vieillissement
de la cognition adulte. La mémoire ne sature pas, il est toujours
possible d’apprendre quelque chose de plus. « Ce n’est
pas comme une bibliothèque avec des tiroirs, mais exactement l’inverse,
c’est un réseau », complète André Giordan.
Autrement dit, plus vous mémorisez, plus vous pouvez mémoriser
! Voilà qui est rassurant. De plus, une information stockée
dans le cerveau ne subit aucune dégradation particulière
avec l’âge. En revanche, la courbe de l’oubli est la
même pour tout le monde.
Mieux, les adultes ont un avantage sur les plus jeunes lorsqu’ils
se lancent dans l’acquisition d’un nouveau savoir : «
Le cerveau s’améliore du point de vue de la mise en relation
des connaissances, et le champ d’expérience, plus vaste,
permet de mettre les choses en perspective, précise Bernard Croisile,
neurologue et auteur de "Votre mémoire" (Larousse, 2004).
Le jugement et le raisonnement sont plus affûtés, même
si on est parfois plus lent à les mettre en œuvre. »
C’est la sagesse qui vient et augmente avec l’âge…
« L’adulte apprend plus intelligemment, car il utilise ce
qu’il sait déjà », confirme André Giordan.
Ceux qui reprennent des études en cours de carrière sont
ainsi bien plus efficaces que les étudiants fraîchement sortis
du lycée.
Toute la différence tient en un mot : motivation. Les adultes savent
donner du sens à ce qu’ils font, là où les
enfants apprennent sans se poser de questions. La contrepartie, c’est
que l’adulte n’acquiert pas les bases de manière aussi
profonde qu’un enfant. Aucune chance de devenir un virtuose à
40 ans. Ou de devenir bilingue à 50. Car la maîtrise d’un
instrument ou d’une langue demande environ dix ans de travail intensif
et de pratique. Seuls les enfants, les ados ou, à la limite les
jeunes adultes ont la capacité, le temps et l’énergie
nécessaires.
Mais les vrais enjeux de l’apprentissage à l’âge
adulte sont ailleurs : que gagne-t-on à apprendre une fois sorti
de l’enfance et de l’adolescence ? Les mots qui reviennent
sont toujours les mêmes : la confiance en soi, la liberté
et, par-dessus tout, le plaisir pur. Car apprendre, conclut André
Giordan, « ce n’est pas juste accumuler, ni faire du par cœur.
C’est transformer sa pensée, apporter des réponses
à des questions que l’on se pose. » Et il y a toutes
les chances que ce soit là le privilège… des adultes.
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