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 AU 
        DELA DES APPARENCES 
       
        Jus d’orange, attention pollution ! 
        Vous êtes invité, un verre de jus d'orange est toujours le 
        bienvenu. C’est une bonne entrée en matière. Le geste 
        est convivial... Et comme il faut céder à la société 
        de consommation... vite on ouvre une boite de jus d'orange. Tout est fait 
        dans l'instant et dans le réflexe ! Quoi de plus simple, et pourtant 
        !.. 
        Pourtant quel geste horrible pour... notre environnement. Déjà 
        mettons-nous en position de consommateur averti, c’est à 
        dire ne consommons pas sans nous poser quelques questions, et pas seulement 
        des questions économiques du type “est-ce que c’est 
        cher ?”. D'où provient le jus d'orange proposé en 
        pack ? Où ont été cultivées les oranges et 
        comment ? Par qui ? Comment ce jus a-t-il été fabriqué 
        ? Comment est-il arrivé jusque chez moi ?.. Bref, qu’est 
        ce qui se joue dans cette boite ?  
        Quelques petites investigations sur Internet sont éclairantes. 
        Les oranges sont principalement ”élevées” dans 
        d'immenses plantations au Brésil et au Mexique. Passons ici sur 
        les problèmes terriens de déforestation ou de privation 
        de terre pour les Indiens, questions pas secondaires, mais déjà 
        dénoncées. Passons également sur les problèmes 
        entraînés par la monoculture qui ne sont pas négligeable. 
        Ce que le consommateur ignore est que le meilleur des jus, pure orange, 
        n'est pas mis en boite directement après pression. Les orangers 
        sont bombardés d’engrais, d’herbicides et insecticides 
        de toute sorte, rendement oblige. Le jus d’orange est ensuite traité 
        et concentré sur place pour devenir une sorte d’extrait ; 
        il est conditionné une première fois pour être transporté 
        dans d’immenses containers. Ce qui nécessite nombre de manipulations, 
        et donc d'énergie, et un premier ensemble d’emballages.  
        Arrivés en Europe ou au Japon, il est dilué à nouveau, 
        conditionné une seconde fois dans les packs cette fois, puis transporté 
        à nouveau. Enfin pour vendre, il est mis en place à grand 
        renfort de publicité. Toutes ces actions ne sont pas non plus neutres, 
        elles ont un coût en matière d’environnement.  
        Pour en avoir le coeur net, avec nos étudiants nous avons fait 
        les calculs. Nous avons additionné les dépenses en énergie 
        pour l'évaporation, le transport et la manutention ; nous avons 
        calculé les emballages ou autres produits nécessaires à 
        la culture ou à la publicité. Cela s'appelle un écobilan. 
        Les résultats sont dévastateurs. Chaque litre de jus d'orange 
        pollue 22 litres d’eau, nécessite 2 centilitres de pétrole 
        et 4 kilos de matière (engrais, herbicides, emballages, publicité..). 
        Surtout, chaque litre stérilise un mètre carré d’espace... 
        Quand l'on sait qu'en moyenne un européen en boit plus de vingt 
        litres par an, on voit nettement les conséquences. Qu'en serait-il 
        de ce simple geste si les 6 milliards d'individus de la planète 
        en venaient à faire de même... Les problèmes de pollution 
        ne sont pas seulement là où on croit les trouver. Nous sommes 
        conduits à consommer autrement. Et si chacun pressait son jus ou 
        employait des fruits cultivés sur place. A vos pommes ou poires 
        (pour les européens) et à vos calculs !..  
       
        Quels savoirs pour aujourd’hui ou demain ? 
        C'est l'heure de la rentrée, du moins dans l'hémisphère 
        Nord et son cortège de discours habituels. Suivant les époques, 
        on discute de la place de l’histoire ou sur celle du latin. On débat 
        de la méthode d’apprentissage de la lecture : globale, semiglobale 
        ou syllabique. On se querelle sur une heure de plus ou de moins sur les 
        mathématiques ou encore sur les rythmes scolaires. On rêve 
        de nouvelles technologies comme de panacée, y compris face à 
        la violence... 
        Mais sont-ce vraiment les “bonnes” questions ? Et si les savoirs 
        importants n'étaient pas à l'école ? Qu’est-il 
        en fait important de faire apprendre aux jeunes, dans une société 
        en mutation ? Peut-on se contenter du traditionnel “apprendre à 
        lire, à écrire et à compter ?” Le découpage 
        du savoirs qui est celui de l’école depuis cent ans, est-il 
        toujours d’actualité ? N’y aurait-il pas d’autre 
        approche de l’apprendre à introduire ?  
        Apprendre à lire aujourd’hui n’est plus seulement savoir 
        décoder un texte. Tout jeune doit être capable de rechercher, 
        de trier et de traiter des documents multiples en fonction des questions 
        qui le préoccupent. Il doit savoir recouper l'information véhiculées. 
        Avec l'apparition de l'audiovisuel, la seule maîtrise de la lecture 
        de l'écrit est insuffisante. Savoir lire des images et des enchaînements 
        d’images est devenu un passage obligé. Un film, une exposition 
        ont aussi une structure grammaticale. Pourquoi serait-ce inutile de la 
        connaître ? Mais alors pourquoi passe-t-on encore autant de temps 
        sur la seule grammaire des textes... 
        Avec les bases de données et les réseaux électroniques, 
        apprendre à lire c’est aussi savoir décoder un hypertexte. 
        C’est en particulier s’y repérer, tant les cheminements 
        sont nombreux. C’est surtout s’interroger sur les sources, 
        la validité des documents ou la pertinence des textes : qui donne 
        l’information ? pourquoi à ce moment là et de cette 
        façon ? Bref quels sont les enjeux de cette information. Autant 
        de points pratiquement absents de l’école ou développés 
        par quelques enseignants sur leur volonté propre. 
        Sur d’autres plans, on vit en permanence dans un univers construit 
        ; 9 jeunes sur 10 habitent dans les villes. Pourtant les élèves 
        n’apprennent rien ou presque sur l'architecture ou l'urbanisme. 
        Nous sommes appelés à vivre et à travailler en groupes 
        de toutes sortes (famille, associations, entreprises, clubs, ..). Le travail 
        d’équipes est toujours peu valorisé, les techniques 
        favorisantes rarement développées ; l’examen lui-même 
        reste individuel. 
        Cela éviterait beaucoup de désillusions ou de rancoeurs, 
        voire de conflits. Ces derniers sont pourtant partout : dans la famille, 
        au travail, dans la société. Ils se génèrent 
        de plus en plus en lien avec la montée de l'individualisme. Jamais 
        ils ne font l'objet du moindre enseignement. L'art de résoudre 
        les problèmes ou celui de la négociation ne devraient plus 
        être réservés aux seuls diplomates. Une approche de 
        la psychologie et de la sociologie ne serait pas non plus de trop.  
        Peut-on se contenter de lancer à tous vents ; “citoyenneté”, 
        “citoyenneté”, sans en faire un objet d'étude 
        concret. Pour cela, quelques concepts de droit, d'économie ou d'anthropologie 
        ne seraient pas inutiles ! Quant à l'histoire, non pas celles des 
        batailles, mais celles des idées, elles éviteraient de refaire 
        toujours les mêmes erreurs... Etc..  
        Une question doit bien sûr vous titiller. Comment introduire tout 
        cela à l'école, le temps scolaire risque d'être démesuré. 
        D’abord beaucoup de savoirs enseignés n’y ont plus 
        leur place. Ils ne sont là que par habitude ou parce qu'ils restent 
        des sujets d'agrégation ! Un bon nettoyage est à préparer 
        en premier. Ensuite, il n’est pas nécessaire de tout enseigner 
        à l’école. L’envie d’apprendre et quelques 
        grands repères sont surtout à mettre en avant.  
        Une vaste réflexion, de vastes débats ouverts sont à 
        générer en tout cas dans la société. On ne 
        peut continuer à transmettre pour l’école du XXIème 
        siècle, les savoirs tels qu’on les envisageait au XIXème... 
        Pour en savoir plus : Introduction et conclusion d’Apprendre !, 
        Belin, 1998. 
         
        Nos élites et... les maths 
        Une commande récente de formation d’une grande entreprise 
        à l'intention de ses cadres supérieurs -polytechniciens, 
        centraliens ou énarques- nous a surpris et interpellé à 
        la fois. Elle était formulée ainsi : "Développer 
        leur approche des organisations complexes" ; elle était accompagnée 
        du commentaire suivant : "Remettez-leur les pieds sur terre !” 
        Quelques petits exercices de physionique et des jeux de rôle comme 
        nous les pratiquons fréquemment dans nos formations nous ont permis 
        de comprendre rapidement la gravité de la situation. Nos élites 
        sont incapables de décoder le monde qu’ils sont censés 
        organiser ou anticiper ! Cette affirmation est bien sûr globale, 
        quelques brillantes exceptions existent.  
        Ces “brillants” cerveaux, de surcroît imbus de leur 
        personne vu la sélection torride à laquelle ils se sont 
        soumis, ne raisonnent que par algorithmes. Certes, ils savent très 
        bien mettre en oeuvre, en un clin d’oeil (ce qui impressionne toujours 
        le quidam), de puissants déductions. Certes ils sont capables d'argumenter 
        pour défendre un point de vue. Mais face à une situation 
        nouvelle pour eux, ou imprévisible, ou paradoxale, il n’y 
        a plus personne. Ils se trouvent complètement paralysés, 
        démunis, sans imagination.  
        En fait, nos élites ne savent trouver des solutions qu’aux 
        problèmes qu’ils ont déjà rencontrés 
        ! Comme de grands naïfs, ils ne fonctionnent que par automatismes 
        à partir de prémisses initiaux. Si ces derniers, comme c'est 
        le cas dans les questions quotidiennes, sont approximatifs, incomplets 
        ou dépendants, leur raisonnement les conduit directement à 
        des incohérences qu’ils ne prennent pas la peine de vérifier. 
        Une telle démarche n’est jamais entrée dans leur horizon. 
         
        Autre chose surprenante, nos élites, futurs ou dirigeants d’entreprise, 
        ne possèdent pas de méthodologie pour clarifier une situation. 
        C'est normal, leur sélection n’a porté uniquement 
        que sur la résolution de problème, en fait de questions 
        qui n’admettaient le plus souvent qu’une “bonne” 
        solution. Rien de tel dans l’entreprise ou la société, 
        la solution n’existe jamais à l’avance. Il n’y 
        en a jamais qu’une seule, il peut ne pas y en avoir. Toute solution 
        dépend d’un contexte et des contraintes. Ces dernières 
        sont fluctuantes et demandent des processus d’adaptation et de changement 
        qui passent par des rapports humains. Il faut faire preuve de beaucoup 
        de discernement en contact avec le réel, de créativité 
        pour en formuler. Autant de points que la sélection en Grandes 
        Ecoles ignorent superbement.  
        Ne parlons pas de la cybernétique, de l'analyse systémique 
        ou de la pragmatique. Autant de mode des raisonnement actuels, toujours 
        aux abonnés absents ! 
        Ces faiblesses sont à rechercher -nous l’avons dit- dans 
        leur formation. Malheureusement le système est totalement bloqué, 
        verrouillé parce que trop homogène. Formateurs, formés 
        et décideurs sont tous issus d’un seul et même sérail 
        : une longue tradition qui remonte au XVIème siècle. Ils 
        ne “voient” qu’à travers un seul moule. Tout 
        vient de l'importance accordée aux mathématiques comme machine 
        de sélection. Et en plus au type de mathématiques valorisées 
        pour être aisément enseignées et corrigées 
        à l’examen, parce qu'il existe heureusement des mathématiques 
        intelligentes! 
        Alors à quand une sélection de nos élites par les 
        sciences humaines, la biologie, l’art ou l’anthropologie ou 
        pourquoi pas la couture ou la cuisine ! Le résultat ne peut être 
        pire... Bien au contraire. Chacune de ces approches leur apporterait un 
        regard plus pertinent dans une société qui change et change 
        vite. 
         
        Pour en savoir plus sur la physionique : A. Giordan, Un 
        poisson rouge dans l’homme, Payot, 1995. 
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