Comment passer de l'analyse
à l'action concrète ?

André Giordan

 

Extraits de Giordan et S. Souchon, Une éducation pour l'environnement, vers le développement durable, Delagrave, 2008

L'analyse théorique est insuffisante en matière de connaissance d'environnement. Un pragmatisme permanent est nécessaire. Certes une initiation à l’environnement passe toujours par une sensibilisation. Mais une éducation cherchant à appréhender et à résoudre des problèmes concrets suppose, non seulement le développement de connaissances et de techniques, mais aussi, et surtout, une pratique. C'est dans la vie quotidienne, face à des questions qui les concernent directement, que les individus se sentent le plus concernés par la qualité de l'environnement. C’est généralement parce qu’un problème les touche (implantation d’une ligne à très haute tension dans une vallée, nouveau tracé routier ou ferroviaire, pollution de la rivière, création d’une décharge...) qu'ils agissent avec persévérance pour préserver ou améliorer l’environnement.
Ce faisant, ils se documentent pour décortiquer les mécanismes, ils prennent conscience des rouages de la gestion. Ils entreprennent des actions et les modulent pour augmenter leur efficacité. Quelle meilleure démarche envisager pour sensibiliser et apprendre !

ENTREPRENDRE DES ACTIVITES ET MENER DES ACTIONS POUR APPRENDRE

Quelles situations éducatives promouvoir pour aller dans cette direction ? Le schéma didactique suivant peut être envisagé :

Phases (simplifiées) d’une pragmatique

L’activité s’organise à partir d’un point de départ qui est la proposition aux apprenants d’une situation problématique qu'ils puissent commencer à résoudre à leur niveau. En fin d’activité il faut permettre aux apprenants d’entrer dans une démarche de solution de problème, notamment en débouchant sur des projets d’aménagement ou de gestion différents, des productions ou des actions (informations ou projets d'aménagement réels, suivis de réalisations).
Cela implique :
- un plan d’action réaliste, éventuellement une planification.
- une étude de faisabilité (ou de changement) avec des prévisions, des analyses des diverses conséquences et une recherche des supports, des agents et des moyens pour réaliser cet aménagement nouveau ou cette forme de gestion autre.
L’apprenant doit déboucher non pas sur une solution idéale car utopique, mais sur un changement possible à court ou moyen terme ? La rencontre avec les partenaires sociaux, en particulier avec ceux qui décident de leur cadre de vie, est indispensable soit pour les interroger sur un projet, soit pour les entretenir de solutions possibles.
En fait, c’est un apprentissage de la pragmatique qu’il s’agit de mettre en place. Or vous savez combien celle-ci est balbutiante même chez les personnes dont c’est le métier (autorités locales, décideurs, administrateurs) !


Des actions réussies avec des élèves

Dans des cas favorables, en particulier quand des contacts suivis ont pu être établis avec les décideurs locaux (élus ou représentants de l’administration), des actions ont pu être menées jusqu’à leur terme.
Dans les travaux réalisés au sein de notre recherche, on peut citer :
- l’aménagement de jardins scolaires,
- l’aménagement de temps scolaire et l’organisation spatiale de la classe,
- la réalisation de terrains de jeux dans le quartier et leur gestion,
- l’aménagement d’espace récréatif de quartier à vocation multiple (avec réalisation des sculptures en bois par les élèves),
- le fleurissement et les plantations d’arbustes et arbres dans un quartier,
- la réfection et la recherche d’esthétique pour une école, un mur aveugle, une cité,
- le ramassage sélectif d’ordures,
- le ramassage des piles usagées.

Dans d’autres cas, l’action s’est limitée à des études préalables à des aménagements :
- réalisation d’un plan d’occupation des sols,
- réalisation d’études avant un remembrement,
- réalisation d’enquête préalable (d’impact ou de demande des population) et réalisation de plan d’aménagement d’espace “vierge”.

Des campagnes de sensibilisation auprès des autres élèves, des parents ou du grand publics par des expositions, des débats, auprès des autorités locales (élus et administratifs ) ont pu également être menées sur les points suivants :
- aménagement de centres-ville,
- aménagement d’espaces verts et des “lieux” boisés dans la rue et la place du quartier,
- aménagement de classe ou d’école (plan)
- proposition de plan de circulation et de parquage dans une petite ville,
- pétition contre des pollutions (porcheries, décharges, gravières), des nuisances (bruit) avec propositions de rémédiation,
- réflexion sur l’alimentation (colorants, impacts sur le Tiers-Monde) avec réalisation de menus réels évitant ces problèmes.


Apprentissage de la pragmatique

Pour faciliter l'approche, les apprenants peuvent se répartir les tâches et travailler en groupes? Chacun se consacre par exemple à l'étude d'un foyer de pollution. Celui-ci fait l'objet d'une enquête sur le terrain (entretien avec les habitants, les représentants des organismes, usines, responsables de la pollution ; les autorités locales). Cela peut conduire à la réalisation d’un reportage argumenté (photographique et sonore) présenté et discuté en classe.
Les apprenants doivent apprendre à poser les problèmes le plus clairement et le plus objectivement possible, en présentant les différents points de vue et les diverses contraintes (en particulier économiques). L’enseignant, l’animateur doit savoir qu’on ne pose pas directement une question dans les termes où elle peut ensuite être résolue. Il y a toujours une évolution de la question en liaison avec les données recueillie pendant l’étude. Une alternance de travaux d’investigation (sur le terrain et sur la documentation recueillie) et de structuration (en classe) peut faciliter l’analyse. Le travail de groupe et la discussion collective sont l’occasion de reformuler cette question.
La volonté d'aboutir à une action concrète sur l'environnement doit conduire les apprenants à rechercher les moyens d'une telle action, par exemple dans le domaine réglementaire et législatif. Les apprenants peuvent alors se rendre compte de la difficulté d'application ou d'exécution des lois ou des règlements en matière d'environnement. Ils peuvent signaler les infractions et les tolérances justifiées ou injustifiées, puis s'attacher par exemple à dégager les valeurs qui ont dicté les choix ayant conduit aux installations non conformes à la réglementation et/ou les valeurs qui ont été ainsi négligées ou ignorées (voir chapitre 6.).

L’action envisagée peut être une sensibilisation de la population locale par le biais d’une exposition ou d’une petite publication diffusée directement ou dans la presse locale. Ce peut être une information des autorités locales par le biais d’une remise de proposition, d’une participation à un débat local.
L’action peut être plus ambitieuse. Elle peut être “grandeur nature” et conduire jusqu’à une réalisation ou une opération  concrète en relation avec les autorités locales ou avec une association. Dans le cadre des recherches que nous avons mené, beaucoup d’études ont pu déboucher sur des aménagements ou la mise en place de campagne de prévention (voir les encadrés). Certaines actions n’ont pu être conduites jusqu’à leur terme faute de temps ; une action peut durer plus d’une année pour être réussie, or les classes (ou les stages quand il s’agit d’activités non-scolaires) passent et il n’est pas facile de garder une continuité sur plusieurs années. Par ailleurs le risque d’échouer dans une entreprise est d’autant plus grand que les enjeux sont trop importants et les groupes de pression plus forts. Peut-on cependant alors parler d’échec ? Il ne semble pas. Une action “grandeur nature” est toujours un révélateur pour les apprenants. Elle met en avant mieux que tout discours les divers paramètres. Il y a beaucoup à apprendre même dans un échec. L’important est de pouvoir évaluer l’action entreprise, d’en discuter pour faire surgir les faiblesses ou les contraintes.
Cette démarche est aussi valable dans les actions réussies !



Actions réelles : implantation d'une autoroute

Dans le cas présent, on trouvera facilement des textes de responsables politiques vantant le charme et l'avenir de "villages-jardins" et qui se sont trouvés en totale contradiction avec les projets officiels du tracé d’une nouvelle autoroute, dont l’emprise n’épargne aucunement une  zone d’agriculture intensive et dont les nuisances touchent fortement des zones habitées.
Le rapprochement du texte de l'homme politique responsable, nationalement connu, et de la carte  d'aménagement émeut les apprenants, les motive et les pousse à chercher d’autres solutions. L’”énergie”(intellectuelle, psychique, morale, etc.) libérée par la contradiction a pu être utilisée dans un travail interdisciplinaire centré sur les sciences humaines et sociales (géographie, économie, instruction civique et politique).

Objectifs
Quatre objectifs principaux sont visés :
- “Voir qu'il y a problème” en d’autres terme sensibiliser un problème d’environnement,
- Etre capable de réunir une documentation sur le problème et de la maîtriser,
- Savoir faire un bilan clair des arguments pour et contre ; établir le rôle des différents groupes : décideurs, associations de défense ...,
- Etre capable de concevoir un plan de résolution du problème débouchant sur au moins une solution alternative,
- Etablir un plan réaliste pour engager l'action et la faire concrètement aboutir .

Activités d'investigation

1. Phase d’investigation et de structuration
Il est proposé aux apprenants, par des enquêtes de "photographier" la réalité  et d'apprécier le caractère de la transformation. Pour y parvenir, il est suggéré de rechercher et d’analyser les documents suivants :
- documents présentant l’environnement en place,
- documents présentant l'autoroute : documents officiels, publications dans la presse locale,
- documents présentant la politique des différents partis (majorité et oppositions) sur l’aménagement de l'espace, sur la politique des transports ; exposés des arguments des associations opposantes,
- coupures d'hebdomadaires ou de quotidiens analysant des problèmes similaires,
- publications politiques et économiques les plus récentes.
Répartis en équipe les apprenants se partagent les documents à analyser (les livres passant de groupe en groupe). Une sélection des passages susceptibles d'alimenter le débat et de fournir des pistes de solutions pour le problème du tracé de l'autoroute est établi.
Chaque équipe a un rapporteur qui lors des séances communes - moment de structuration - fait le point devant l'ensemble de la classe. Ces "communications "étalées sur un trimestre accentuent la motivation et aboutissent à la décision de taper ces textes de façon à assurer la diffusion auprès des responsables locaux ou de personnes susceptibles d'informer l'opinion (jeune chambre économique, élus, syndicats, partis politiques, associations, etc.).
On n’omettra pas une discussion de fond sur le thème : “Faut-il une nouvelle autoroute ?”. Ne se préoccuper en effet que du tracé proposé ou d’une solution alternative, c’est implicitement répondre oui à cette première question.

2. Recherche d’une solution alternative et préparation de l’action
Le problème étant posé, il faut aller plus loin et envisager une autre solution, passant ainsi de la réaction à une certaine forme d'action. Dans un premier temps il est nécessaire de dresser un état de la question. Il convient absolument d'éviter les erreurs commises dans d'autres régions.
Un autre projet de tracé d'autoroute peut être proposé, les apprenants peuvent même aller plus loin et envisager d'autres solutions :
- différer la mise place de l'autoroute (jusqu'au retour du pétrole à “bon marché”),
- utiliser les capitaux ainsi dégagés pour  accélérer le développement d'une agriculture irriguée évitant le départ des populations paysannes,
- mettre à 4 voies, la route existante,
- renforcer l'infrastructure ferroviaire et aménager des quais pour faciliter l'accès des poids lourds aux plateformes des trains,
- réinvestir sur place, dans les secteurs démographiquement déprimés l'épargne réalisée en transférant le trafic de la route sur le rail...,
Ces différentes solutions argumentées, un dossier peut être élaboré et porté à la connaissance :
- de la population, par le biais d’expositions, d’interventions auprès de la presse locale,
- aux autorités locales.

Stratégie éducative
Dans cette étude, les disciplines ne sont plus que des prétextes, des supports de la formation fondamentale de l'individu. Dans le cadre de l'équipe pédagogique, en s'appuyant sur sa compétence propre, chaque professeur contribue à réaliser un projet collectif. Dans un tel travail, il est hors de question de vouloir endoctriner les apprenants. L'intérêt pédagogique est d'amener les apprenants à prendre connaissance des diverses propositions présentées par les aménageurs, par les divers groupes de pression par l'ensemble des partis, par les associations et de les faire discuter contradictoirement.

Affrontés à un exercice de proposition d'aménagement, les apprenants peuvent approfondir leur culture économique en élaborant un dossier de presse et de lecture consacré à l'automobile (qui fait l'objet d'un affichage ou de comptes-rendus oraux en classe). Ils peuvent également clarifier leurs valeurs. Alors que les médias et l 'opinion érigent la voiture en quasi-valeur, l'élève, au cours de sa collecte critique de documents, est amené à constater que la valeur de l'automobile n'est pas aussi absolue et définitive que la publicité le lui affirme. Rattachant cette découverte au goût qu'il a pour la nature, pour le "travail au pays”, c'est à un véritable réajustement  de ses valeurs qu'il est invité à effectuer.
Ce travail induit ainsi une réflexion touchant concrètement à la philosophie de la civilisation (position "pro-voiture" pro-progrès, pro-technique, pro-consumériste !

 
ET L’APPORT DE LA SIMULATION ?
                           - SIMULATION PAR JEUX DE ROLES
                           - SIMULATION MATHEMATIQUE

Parfois les possibilités d’action réelle se trouve limitées pour de multiples raisons. Problème trop complexe, ou à long terme, réticences des parents ou de l’administration. Dans ces cas, éventuellement comme préalable, mais aussi de façon générale, la simulation est un autre moyen pour réaliser les objectifs d’une EE. Mais qu’apporte la simulation ? Les bonnes simulations placent l’apprenant dans une situation qui reproduit de façon simplifiée la réalité tout en lui donnant l’impresssion qu’il est dans cette dernière. Par exemple, elles confrontent l’apprenant à des situations complexes dans des circonstances contrôlées et sans risque. Les actions sont régies par des règles précises, les données sélectionnées, le temps comprimé.
Les techniques de simulation pour l’éducation se sont largement développées ces dernières années, en particulier dans les pays anglo-saxons. En fait elles sont multiples. On peut distinguer deux types : la simulation par jeu de rôles et la simulation quantitative (mathématique, souvent par voie informatique).
L’élève est ainsi placé devant une réalité de façon un peu différente dans ces deux cas : dans le premier, il doit assumer un rôle qui impliquent éventuellement différents degrés de coopération de rivalité ou de conflit avec les autres élèves ; dans le second, il va pouvoir manipuler “fictivement” les paramètres et où il va pouvoir ressentir les effets et les conséquences de ses actions ou de ses décisions.
Malgré l’aspect séduisant, lié à l’utilisation de l’informatique, l’apport pédagogique reste souvent faible : l’équipe enseignante devra faire, avant de choisir un tel jeu, un effort d’évaluation préalable. L’idéal serait que s’instaure une véritable pédagogie de la modélisation-simulation, qui permette une réelle participation de l’apprenant dans la conception même du jeu... Des recherches sont en cours.
Il existe sur le marché de nombreux jeu de simulation informatique. Certains permettent de voir l’évolution d’un écosystème suivant les paramètres introduits. Ce peut être l’évolution d’une forêt en fonction des coupes d’arbres ou d’implantation d’herbivores. L’évolution des population d’un étang en fonction de la pêche, de pollution ou du taux de natalité des prédateurs. Ce peut être l’urbanisation d’un territoire en  fonction de décisions politiques.
Un grand nombre de variations de paramètres sont possibles, parfois plusieurs élèves peuvent intervenir contradictoirement. Dans chaque cas, l’intérêt de faire des prédictions, de prendre des décisions et d’analyser les conséquences de ces dernières.

Le jeu de rôle place l’élève dans un rôle particulier - celui d’une personne réelle ou imaginaire,  généralement différente de celle qu’il maîtrise habituellement - face à une situation qui pose (ou qui risque de poser) problème. Il devient le vigneron qui voit ses vignes en partie détruite pour implanter une voie de train à grande vitesses. Il devient le promoteur d’un port de plaisance dans une région touristique. Chaque fois, il est confronté à d’autres personnes - d’autres élèves - qui représentent des enjeux différents: Le vigneron peut être opposé à un industriel qui doit dse déplacer rapidement pour ces affaires ou au resposable des chemein de fer qui a une mision à assurer. Le promoteur peut être confronté à un petit pêcheur ou à un écologiste spécialiste des herbiers de Posidonies.
Le jeu de rôle peut servir à un grand nombre d’usage :
- le diagnostic : l’élève découvrir comment des individus réagissent dans certaines situations.
- changement d’attitude : le confrontation avec d’autres opinions put conduire à faire évoluer la sienne ou à envisager de nouvelles perspectives.
- la prise de décision : l’analyse des conséquences des solutions envisagées permet d’affiner ses décisions. 

SI VOUS DEVIEZ RETENIR UNE IDEE IMPORTANTE
SI VOUS DEVIEZ TENTER UNE EXPERIENCE

L'analyse théorique est insuffisante pour l'environnement. Un pragmatisme permanent est nécessaire.
 
Pourquoi ne pas faire entrer les apprenants dans une démarche de solution de problème ? Un projet d’aménagement alternatif, des productions ou des actions moins couteuse pour l’environnement ?
Cela implique :
- un plan d’action réaliste, éventuellement une planification.
- une étude de faisabilité (ou de changement) avec des prévisions, des analyses des diverses conséquences et une recherche des supports, des agents et des moyens pour réaliser cet aménagement nouveau ou cette forme de gestion autre.

Dans tous les cas, l’apprenant doit déboucher non pas sur une solution idéale car utopique, mais sur un changement possible à court ou moyen terme ?