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Que
voit-on dans les salles de classe ?
André Giordan
Que voit-on dans les salles de classe ? Des enseignants qui causent, ou
tentent de le faire du haut de leurs savoirs et des élèves
qui écoutent, qui rêvent, et qui de temps à autre
contestent comme en cette période.
Pourquoi rêvent-ils ? Parce que le message est décalé
par rapport à leurs préoccupations ou par rapport à
ce qu’ils considèrent être la vie, leur vie, leur avenir.
Pourquoi écoutent-ils ? Parce qu’ils supposent, comme la
plupart des enseignants d’ailleurs, que c’est la seule façon
d’apprendre.
Il est vrai qu’il est souvent difficile d’envisager l’enseignement
autrement. Que peut-on faire quand on n’a que peu de documents à
sa disposition ; quand bien même les moyens de reprographie manquent
ou encore quarante élèves à gérer.
Pourtant, depuis une dizaine d’années, un ensemble de travaux
de didactique, de psychologie génétique et d’intelligence
artificielle convergent. Tous disent : la pédagogie frontale, celle
de tous les jours, est inefficace, voire inutile quand elle n’est
pas mystifiante.
Acquérir des connaissances, s’approprier des méthodes
de penser est rarement le fruit d’une simple transmission de messages
d’une personne “qui sait” à un récepteur
passif qui n’aurait qu’à bien enregistrer.
Cette situation idéale ne fonctionne que dans un seul cas. Celui
où l’apprenant est motivé, se pose la même question
et possède le même cadre de référence que le
“savant”. Autant dire qu’il s’agit d’une
situation bien rare aujourd’hui dans nos lycées !
Cette façon d’enseigner, si elle permet aux enseignants de
boucler leur programme et de se donner bonne conscience, ne débouche
que sur l’inintérêt, le plaquage de savoir et une rigidité
de pensée accrue. Importance de l’apprentissage.
En fait, l’acquisition d’un savoir ne releve que d’un
processus actif et conscient de la part de l’apprenant ; encore
faut-il que le dispositif scolaire accorde une plus grande place à
l’apprentissage et se donne les moyens de l’atteindre.
C'est le réseau de relations mobilisées entre le système
conceptuel de l’apprenant et les informations glanées à
l’école et hors de l’école qui est pertinent,
et non la suite des données enregistrées. Ce réseau
constitue la trame de la pensée, la grille de questionnement et
d'analyse que l'élève active pour interpréter les
données.
C'est donc l'apprenant qui, pour une raison ou une autre, doit se trouver
en situation de changer ses conceptions. C'est lui-même qui élabore,
intègre... bref apprend, et cela à partir de ses structures
de pensée propres. Si l’enseignement ne les prend pas en
compte, celles-ci résistent vivement au changement et au remodelage.
L'action propre de l'individu est donc au coeur du processus de connaissance:
c'est ce dernier qui trie, analyse et organise les données afin
d'élaborer sa propre réponse. Et personne ne peut le faire
à sa place.
Il faudrait donc abandonner l'idée que les élèves
accédent directement aux concepts par des présentations
expositives. “Dire”, "donner", "montrer"
une notion, ou encore la répéter quand elle n’est
pas passée, est rarement opératoire. On peut ajouter que
ce n’est pas parce que l’élève bouge ou manipule
qu’il est rendu nécessairement actif. Les pédagogies
de la découverte ou de la manipulation sont encore plus dogmatiques.
Un grand nombre d’évaluation sont là pour l’attester.
Un environnement didactique adéquat
Ce qui compte c’est que l’élève soit concerné,
interpellé dans sa façon de penser. Il faut qu’il
soit acteur de l’élaboration de son savoir. Toutefois ce
processus n'est pas le fruit du hasard. Il s'établit en fonction
des structures de pensée en place (questions, cadre de référence,
opérations maîtrisées) et des enjeux que l’élève
perçoit de la situation.
Il doit être largement favorisé par ce que nous appelons
un environnement didactique , mis à la disposition de l'élève
par l'enseignant, et d’une manière générale
par tout le contexte éducatif.
Car la probabilité pour qu'un apprenant puisse "découvrir"
seul, l'ensemble des éléments pouvant transformer les questionnements
ou facilitant les mises en relation multiples et les reformulations est
pratiquement nulle dans un temps limité.
Des situations adaptées (situations questionnantes, confrontations
multiples), nombre d'éléments significatifs (documentations,
expérimentations, argumentations), doivent être mis à
sa disposition. Des formalismes restreints (symbolismes, graphes, schémas
ou modèles) doivent s’intégrés dans sa démarche.
On peut ajouter qu'un savoir ne se substitue aux idées premières
que si l'apprenant y trouve un intérêt et apprend à
le faire fonctionner. A ce niveau également, il doit se trouver
confronté à un certain nombre de situations adéquates,
d'informations sélectionnées. Il faut qu’il puisse
mobiliser son nouveau savoir pour en tester son intérêt ou
son efficacité.
Sur tous ces plans, il se dégage nettement que le rôle de
l'enseignant est primordial et irremplaçable. La somme des apports,
leurs interactions, leur progressivité ne peuvent faire l'objet
de programme préétabli.
Toutefois son emploi est second et différent des traditions pédagogiques.
L’enseignant ne peut être qu’un médiateur entre
le savoir et l’élève. Il est l'organisateur des conditions
de l'apprentissage. Il peut suggérer, mettre en place le cocktail
d'éléments indispensables pour faire fonctionner les savoirs.
L'environnement didactique que nous avons décrit rapidement ci-dessus
.
Importance d’une formation de qualité
Bien sûr cela implique qu’il soit formé. En particulier
qu’il est d’autres images possibles du processus éducatif.
Notamment qu’il prenne conscience que l’acte d’apprendre
est un processus de transformation et non de transmission.
Son rôle n’est plus de présenter des informations,
il y a des moyens plus rentables, plus adéquats pour cela. Sa fonction
est de motiver, de conseiller des repères, de convaincre l’élève
de passer d’un niveau de pensée à un autre plus performant.
Nous voilà face à la principale question des systèmes
d’enseignement. Celle de la formation des personnels et même
des formateurs. Une réforme est certes en cours. Mais l’innovation
ne doit pas rester administrative comme toutes les modifications de ces
vingt dernières années. Elle devrait être aussi pensée
sur le plan des contenus et du processus de changement.
Mais cela est une autre histoire. Elle demanderait aussi une transformation
du système de pensée des administrateurs et des politiques
qui nous gouvernent ! |