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              L’Education, 
                une cause commune ! 
              André Giordan 
               
              Au 
                moment où l’apprendre devient un enjeu de société, 
                deux véritables fléaux s'étendent de plus en plus 
                : échec et exclusion pour nombre d’enfants de milieux défavorisés 
                et désintérêt pour les autres. Un programme découpé 
                par semaines, le même 36 fois dans l’année, avec une 
                progression identique pour tous. Des connaissances saucissonnées 
                en chapitres ou parties, dispersées en une série de disciplines, 
                sans liens où le sens se perd, en sont les causes principales. 
                Comment en est-on arrivé à un tel découpage ? Pourquoi 
                seulement ces savoirs disciplinaires ? Permettront-ils aux élèves, 
                futurs citoyens, d’affronter les défis des années 
                2000 ? 
                Paradoxalement, dans le même temps, l’école continue 
                d’évoluer rapidement. Elle s’ouvre vers le monde extérieur 
                pour prendre en compte la multiplicité des savoirs… Nombre 
                d’innovations ou de partenariats sont passionnants, malheureusement 
                encore peu médiatisés. Pourquoi les maîtres hésitent-ils 
                toujours à les faire connaître, à les mutualiser ? 
                Quelle direction prendre pour transformer l’école ? 
                Un peu d’histoire 
                Les matières enseignées telles nous les connaissons n’ont 
                rien de « naturel » !.. Jusqu’en 1945, même les 
                mathématiques ont une place excessivement modeste. Les Frères 
                des Ecoles Chrétiennes, très novateurs dans les années 
                1800, ne leur consacraient que deux leçons d’une demi-heure 
                par semaine, réservées à... la seule arithmétique 
                ! Il fallut attendre les profondes réformes de la loi Guizot de 
                1833 pour que soient introduits des “éléments du calcul 
                et le système légal des poids et des mesures”, en 
                parallèle aux premiers éléments de la langue française 
                (à la place du latin), et le décret relatif à l’exécution 
                de la loi du 30 octobre 1886 pour que se mette en place le système 
                que nous connaissons.  
                Ce cloisonnement est ainsi un phénomène très exactement 
                daté. Il correspond à un état du savoir universitaire, 
                celui de la fin XIXe siècle... Aujourd’hui, ce choix de savoirs 
                est totalement inadapté. L’individu reste illettré 
                s’il ne connaît pas quelques grandes idées de psychologie, 
                d’économie, d’anthropologie, de droit, d’urbanisme 
                (neuf enfants sur dix vivent dans les villes sans savoir " lire " 
                une ville…), etc. .  
                Dans le même temps, les disciplines anciennes sont à repenser 
                : Les maths sont à alléger notablement et surtout à 
                réorienter pour aborder les questions d’incertitude, d’estimation 
                ou de complexité. D’autres sont à redistribuer dans 
                le temps. Pourquoi ne pas envisager les langues étrangères 
                – dès la … maternelle, puisqu'on sait aujourd'hui que 
                les sons s’imprègnent mieux durant la petite enfance ? Idem 
                pour la philosophie (dont l’éthique) qui, en faisant référence 
                aux valeurs et aux paradigmes sociaux sont à réfléchir 
                et à clarifier dès le plus jeune âge. 
                De plus, les problèmes actuels -ceux auxquels sont ou seront confrontés 
                notre société et nos élèves- ne se posent 
                plus à l’intérieur d’une seule discipline. La 
                recherche de solutions demande d’articuler des connaissances provenant 
                de domaines très divers. Des savoirs transversaux comme organisation, 
                mémoire, identité, transformation ou régulation seraient 
                déjà très «utiles » pour regrouper les 
                multiples informations des médias. Mais ce qui devient important, 
                plus que des certitudes trans ou disciplinaires, ce sont des démarches, 
                des modes d’investigation, mêlés à des attitudes 
                telles que la capacité de s'interroger, de mettre en connexion, 
                d'inventer, d'élaborer, etc. . . Va-t-on attendre 2050 pour introduire 
                la pragmatique, l’analyse systémique, la maîtrise de 
                l’information, la modélisation, la simulation, l’optimisation, 
                autant de savoirs nécessaires pour approcher les défis en 
                cours ou à venir ? 
                Vous avez dit “réforme” ? 
                Une réflexion sur les contenus de l’école obligatoire 
                ne peut ainsi se limiter à un « kit » de connaissances 
                minimums défini au travers de lunettes qui ont fait leur temps 
                (“lire, écrire et compter”, “connaître 
                les figures et les volumes”, “observer les choses et les êtres 
                vivants”). En période de mutation, ce qui manque à 
                cette institution, c’est un nouveau projet fondateur. Quel sens 
                donner à l’école du XXIe siècle ? Il faut susciter 
                le débat le plus large possible devant la Nation. Quoi apprendre 
                à nos enfants ? Et pourquoi ?…  
                Reste ensuite à le mettre en place. Là n’est pas le 
                principal problème… A la base, nombre d’enseignants, 
                d’établissements réalisent de multiples activités, 
                des projets formidables, malheureusement peu connus, et rarement partagés. 
                Les enseignants seraient-ils de grands timides ? Ils n’osent pas 
                mettre en avant ce qu’ils font. Ils ne tentent pas montrer, à 
                travers des évaluations bien menées, que leurs innovations 
                apportent de meilleurs résultats que la pédagogie communément 
                admise. Bien sûr, au préalable, il faut arrêter de 
                se leurrer, de croire que LA solution existe, qu'elle réside dans 
                LA méthode d'Untel ou LA stratégie miracle de tel autre. 
                Il n’existe pas de panacée pour apprendre, sinon, cela se 
                saurait… Le processus est en même temps évident et 
                hypercomplexe. Evident si l’élève est motivé 
                ou a été motivé, interpellé, questionné. 
                Hypercomplexe car, de toute façon, chaque élève est 
                «l’auteur» de son apprentissage. L’enseignant 
                -ou mieux l’équipe éducative- ne peut que mettre à 
                sa disposition ce nous nommons « un environnement didactique » 
                propre à métamorphoser sa pensée préalable. 
                Et là non plus, il n’y a pas de recette. Les «vrais» 
                projets sont à multiplier, les activités éducatives 
                à varier… avec les défis, les travaux de groupes, 
                les productions collectives, les créations et l’expression 
                sous toutes ses formes… ou même la recherche personnelle. 
                La personnalité du prof., les passions qu’il sait partager, 
                ont une place capitale. Les TIC (technologies de l'information et de la 
                communication), notamment par le biais d’un netable (ordinateur 
                personnel remplaçant "l'ardoise" d'antant), doivent être 
                de tous les moments, mais comme… simple outil. On apprend d’abord 
                avec les autres, en se confrontant directement avec la réalité. 
                L’architecture de l’école est à repenser autour 
                de lieux de documentation et d’autodidaxie, mais également 
                autour de lieux d'échanges entre les élèves. Par 
                exemple, quel enseignant n'a pas expérimenté le fait que 
                l'on n'apprend vraiment que lorsqu'on mobilise son savoir, et pour commencer 
                en l’enseignant aux autres ?  
                Bien sûr, il est hors de question de vouloir, une fois de plus, 
                tout bouleverser immédiatement et dans la précipitation,. 
                Toute évolution du système éducatif demande du temps, 
                des recherches et surtout une formation préalable des personnels. 
                Les enseignants, vecteurs privilégiés de tout changement, 
                sont le “moteur” de l’innovation. Dans l'immédiat, 
                une dynamique est surtout à créer.  
                 
                André Giordan, ancien instituteur et intervenant ZEP, est professeur 
                à l’université de Genève. Les idées 
                évoquées dans cet article sont développées 
                dans son dernier livre : Une autre école pour nos enfants ? Delagrave, 
                2002.  
                Lire également Apprendre ! Belin, 2000 et pour ceux qui cherchent 
                des idées pratiques en sciences, ES, comment faire pour que ça 
                marche, Les sciences à l’école maternelle ou Des idés 
                pour Apprendre, maintenant réédités chez Delagrave 
                20002. 
                
               
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